20.2. Ce qui change avec le temps

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Décembre 3512


Elle se retourne pour regarder autour d'elle dans la ruelle. Il n'y a personne pour la suivre, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'attire pas les regards non-plus. Alors elle rentre la tête dans les épaules, enfonce sa capuche sur ses cheveux pâles, et glisse un dernier coup d'œil à ses chaussures. Ce n'est que la troisième fois qu'elle se rend dans ce bar, une paire d'ailes accrochées au panneau lumineux indiquant le nom de l'endroit. Mais elle a envie d'essayer.

Ses propres métamorphoses la rendent à moitié malade, au point qu'elle ne puisse plus se regarder dans le miroir, effrayée par ce que pourrait lui renvoyer le reflet. Ou plus précisément, terrifiée à l'idée qu'elle pourrait être différente du corps que la barmaid, Kelly, l'a aidée à retrouver. La dernière fois, elle avait fait mine de ne pas s'arrêter dans l'endroit, et n'était passée que devant la porte entre-ouverte à cette heure de la soirée.

- Oh, bonsoir !

Elle sursaute, et se tourne vers la femme en question, deux têtes de plus qu'elle, les cheveux coupés à ras sur les côtés, et une mèche de cheveux clairs sur le dessus. Le cas typique d'une étrangère typée sang mêlé, les yeux pourtant marron et en amande.

- Tu es repassée nous voir ? demande-t-elle les bras chargés. Tiens, tu crois que tu pourrais m'ouvrir la porte, s'il-te-plaît ?

Sera s'exécute, cachant son visage avec soin.

La jeune femme la regarde un moment, posant finalement la question qui l'inquiète tant :

- Tout va bien, dans ta vie, ma belle ? Tu as l'air morte de fatigue. Quelqu'un t'a suivi jusqu'ici ? Tu veux que j'en parle à...

- Non, ça va, merci. Je voulais juste vous remercier pour la dernière fois. Je vais y aller, désolée, marmonne-t-elle d'une traite.

- Quoi ? Je ne t'entends pas, parle plus fort, répond Kelly en fronçant les sourcils et tendant l'oreille.

Sera se retrouve à répéter, hurlant presque dans le couloir :

- Merci pour la dernière fois !! Je rentre chez moi !!

Deux tables discutant près de la porte se taisent, et le brusque silence provenant de l'intérieur la fait sursauter. Le simple fait qu'ils la regardent lui donne la nausée, et elle doit lutter de toutes ses forces fatiguées pour ne pas faire demi-tour en courant, quand la jeune femme lui attrape le bras.

- Tu ne veux pas rester un peu ? Pour discuter ? Tu as l'air d'en avoir besoin.

L'air farouche qu'elle affiche doit avoir eu raison de la curiosité de Kelly, qui a laissé ses caisses dans un angle du mur pour la retenir. Mais Sera en est certaine, ce n'est que ça. De la curiosité. Pourquoi, elle ne le sait pas du tout. C'est suffisant pour lui faire peur.

Les petites particules qui se sauvent de sa peau témoignent une inquiétude plus flagrante que le changement brusque de la couleur de ses cheveux. Elle a adoré les modéliser pendant si longtemps, qu'elle n'a pas la moindre idée de comment les obliger à rester d'une certaine forme, sans risquer de les métamorphoser assez pour qu'ils ne soient plus les siens.

La main chaude de la barmaid se détend, et elle s'approche, quand l'adolescente éclate en larmes.

Kelly la tire alors à l'intérieur d'autorité, et la fait passer derrière le bar, pour les isoler un peu du monde extérieur. L'étagère qui les sépare des autres n'atténue qu'à peine le chagrin de Sera, qui hoquette, à en avoir du mal à respirer.

Tout se fige soudainement quand les bras épais de l'adulte se serrent autour d'elle.

- Ecoute, dit-elle à Sera. Ecoute le monde autour de toi. Personne ne te regarde. Pas parce que tu n'existe pas, mais parce que tu es comme eux. Et s'ils te regardent, ce n'est pas pour ce que tu es, mais parce qu'ils espèrent rencontrer quelqu'un qui les comprendra. Tu es en sécurité, ici. Ne t'en fais pas. Tout va bien.

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