15.2. Ce qui nous retient

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Juillet 3513


La fiche circule dans les classes. Ça y est. On demande aux collégiens de deuxième année quel genre de filière ils souhaitent obtenir pour leur lycée. Sera y a longuement pensé. Peut-être plus que les autres, et elle a pourtant changé plusieurs fois d'avis avant de se retrouver à faire ce choix.

Quel genre de personne voulait-elle devenir ? Pour quel genre de travail ? Quel salaire ? Qui voudrait d'une métamorphe ? Voulait-elle briller, ou ne jamais se servir de son alter au travail ?

Plus qu'une question, elle s'est demandé, encore et encore. En définitive, elle n'avait pas demandé l'avis que qui que ce soit. Elle commence sérieusement à connaître Seal et Kelly, et elle sait qu'on ne l'aurait jamais aiguillée dans une filière ou une autre.

En même temps, elle n'est pas sûre qu'eux la connaissent assez pour l'envoyer quelque part. Elle n'est qu'une adolescente de moins de quinze ans, qui traine dans un bar le soir.

Sera ricane intérieurement, avant de secouer la tête imperceptiblement, plus sérieuse. Ce n'est pas tout à fait typique, comme cas. Surtout que Kelly veille à ce qu'elle ne boive pas d'alcool. Même si elle le voulait, la barmaid ne la laisserait pas faire.

Quelle filière ? Il faudrait qu'elle ait le temps d'en parler avec sa mère, pour connaître exactement le budget pour ses études, et combien d'années. Sauf que sa mère sort de plus en plus le soir. Et l'adolescente s'en inquiète. Si Yuko sort aussi souvent, en dépit du travail difficile qu'elle fourni la journée pour ses études, sa fille craint qu'elle ne finisse par tomber malade.

Ses notes en biologie ont tellement augmenté, qu'elle est passé à la septième place dans la classe, alors qu'elle faisait partie des quinzièmes, les années précédentes. Elle a étudié les cellules, les espèces, leurs particularités, et les mythes, si fort qu'elle pourrait citer, sur quelques critères, les créatures les plus proches de ce dont elle a besoin. Elle ne sait pas si elle va en avoir besoin, pourtant. Parce que rien ne dit que sa mère pourra lui payer la filière héroïque dont elle rêve.

Vivre en ville est déjà économiquement parlant épuisant, alors dépenser le double ou le triple pour un lycée, que leurs dépenses mensuelles actuelles...

Elle redresse la tête sur le cours et prend des notes. C'est une histoire de timing, pour ne pas se faire repérer par les professeurs quand on rêvasse. Et Sera est la meilleure pour faire semblant. Alors elle griffonne, lève parfois même la main pour poser une question simple, approfondissant ce que vient de dire l'enseignant, pour ne pas l'écouter ensuite.

Ce n'est pas par jeu, qu'elle fait ça. Mais par désintérêt profond pour les études.

- Si je veux aller dans cette filière, il faudra bien que je travaille plus que les autres à un moment donné...

Sauf qu'elle ne parvient pas à suivre son idée. La cloche sonne, et elle est déjà debout, ses affaires dans les mains pour les jeter dans son sac, et sort de la salle, après avoir marmonné un « au-revoir », et salue d'un signe de tête rapide les filles avec lesquelles elle a mangé ce midi.

Dehors, trois adolescents l'attendent de pied ferme, téléphone levé pour la prendre en photo :

- Oh, elle est là !

Le garçon sourit, s'apprête à appuyer sur le bouton, mais le téléphone lui est arraché des mains.

- T'es sérieuse ? Tu passe de trente-trois photos par jour à aucune ? se plaint-il.

Elle serre le poing autour de l'appareil, et lui rend, d'une autre couleur.

- La prochaine fois que tu me prends en photo, je le lance par la fenêtre, grogne-t-elle.

Avec un soupir théâtralement découragé, il se tourne vers les deux autres filles :

- La pauvre, elle n'a peut-être plus son alter de métamorphose...

- Ou alors elle s'est rendue compte que sa poitrine était beaucoup plus petite que ce qu'elle croyait, en raille une autre.

Sera ne les écoute pas. Elle est dehors, les mains serrées dans ses poches, un effort surhumain pour ne pas se transformer rageant dans sa poitrine. Ils ne feraient pas les fiers s'ils avaient un tigre en face d'eux. Ou un centaure, ou... un immense agent de sécurité. Oui. La taille fait souvent de l'effet.

Elle sourit de son idée, et force ses jambes à marcher à un rythme soutenu, d'une foulée régulière. Marcher vite, ça, elle sait faire. Pour éviter les gens, pour rentrer chez elle, pour se cacher au bar... mais ce soir, elle a envie d'être de bonne humeur. Elle en a décidé comme ça, et elle n'a pas l'intention de revenir là-dessus. Elle fait gratter son porte-clefs énorme contre la peinture de la porte de l'immeuble, puis contre le vernis de la porte de leur appartement, à sa mère et elle, et elle hume l'air discrètement.

Pas besoin d'avoir le museau d'un chat pour savoir que sa mère n'est pas à la maison. Il y a dans l'air comme une odeur familière de renfermé, quand personne n'a eut le temps d'aérer le matin en partant.

Sera attrape un fruit, croque dedans en retirant ses chaussures, et sort la feuille de son sac, laissant ses affaires éparpillées dans ce qui leur fait office de vestibule, et se laisse tomber sur son lit à la renverse, pour la lire attentivement, la bouche pleine. Elle roule sur le ventre pour mieux voir ce qui est écrit sans s'étouffer, et économiser son bras.

Trois vœux. Elle doit en rendre trois.

Elle sait déjà où elle voudrait aller, mais elle ne sait pas encore si c'est une bonne idée à écrire.

L'adolescente attrape un crayon à papier sur sa table de chevet sans dessus dessous, et griffonne quelques kanji dans les cases deux et trois. Elle regarde le résultat. Va-t-elle vraiment avoir le courage de marquer "héroïque" dans la première ?

Elle tergiverse, retourne le papier dans tous les sens, regarde son téléphone... Non, elle ne va quand même pas appeler Kelly pour ça, elle lui avait dit "en cas de problème". Ce n'est pas comme si elle n'était pas capable de faire un choix. Et si elle échoue... elle pourra toujours s'essayer dans la filière de biologie, ou générale. On peut avoir besoin d'une métamorphe partout.

Sera soupire, attrape la feuille, et manque de la percer en écrivant le mot dessus. La porte d'entrée s'ouvre, et elle entend sa mère rire joyeusement :

- Je suis rentrée !

Elle se lève rapidement en retournant la feuille face cachée, et s'élance dans l'entrée pour ramasser ses affaires éparpillées.

- Tu es rentrée tôt, aujourd'hui.

Elle sourit.

- Je ne vais laisser personne m'empêcher de voir ma fille, quand même ! Tu veux qu'on commande quelque chose à manger, pour ce soir ? Pour changer ?

Commander ne fait pas partie de leurs options régulières. Mais si elle propose, c'est qu'elle doit avoir reçu une prime, ou un supplément. Même quand on connait la réalité des finances, à son âge, on ne peut pas résister.

Et comme si la feuille sur son lit n'existait pas, les cheveux de la jeune fille s'éclaircissent un peu quand elle lui répond avec un grand sourire :

- Avec plaisir !

- Avec plaisir !

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MétamorpheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant