30.2. Ce qu'on se souhaite

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Avril 3512


D'après ce qu'elle a vu sur internet, certaines jeunes filles louent carrément un studio pour faire de jolies photographies d'elles à poster. Alors elle se dit bien sûr qu'elle n'en n'est pas là, mais que garder une trace de ce qu'elle apprend à faire pourrait tout à fait lui servir un jour. Et en quelques minutes, son habitude de prendre image de tout ce qu'elle fait devient presque une profession : plus de lumière, moins de couleurs... elle ne sait plus, trente minutes plus tard les raisons qui l'ont poussée à se photographier, des cheveux au nombril, en passant par les ongles. Elle essaie même de modifier ses pieds, et pousse de temps à autres, quelques cris ravis.

Sa mère est à la maison, aujourd'hui, et passe la tête dans l'embrasure pour voir de ce que sa fille a pu inventer pour s'occuper, et l'observe faire, circonspecte.

- C'est pour un devoir ? demande-t-elle finalement.

L'adolescente la regarde comme si elle venait de débarquer sur une autre planète, tandis que Yuka réfléchit aux différents sujets scolaires qui pourraient nécessiter d'une photographie de alter des collégiens.

- Non, pas du tout. Je voulais juste me prendre en photo.

Un nouveau son de prise résonne dans la pièce, et Taeko peste d'avoir appuyé sur le bouton par inadvertance.

- Et tu les gardes pour toi, hein ? vérifie sa mère, les sourcils froncés.

- Oui, bien sûr. Tu voudrais que j'en fasse quoi ?

La jeune femme s'appuie sur le battant de la porte, les bras croisés :

- Oh, je ne sais pas, mais ne les poste pas sur les réseaux, c'est tout. On trouve de tout et n'importe quoi chez les utilisateurs d'écrans. Tu pourrais faire de mauvaises fréquentations, et...

- Oui, maman, soupire la métamorphe en lui tirant la langue. Promis. De toute façon, je comptais me faire un album. Tu crois qu'on pourra faire imprimer les plus jolies ? Avec une vraie imprimante comme pour les photos qu'on a dans le salon ?

Les lèvres pincées, Yuka force un sourire.

- Si tu en as des vraiment jolies, on peut regarder à la fin du mois, quand je reçois mon salaire.

Le sourire de sa fille se fane.

- Oh, ça coûte si cher que ça ?

Le montant de la porte change de couleur là où elle s'appuyant une seconde au paravent, de surprise, et Yuka secoue rapidement la tête :

- Non, pas tant que ça, ne t'inquiète pas. C'est un petit budget, c'est tout. Mais un album, ça ne se fait pas en une fois, et si tu veux, on pourra y aller faire imprimer tes photos en fin de mois, une dizaine à la fois.

Mortifiée à l'idée que sa fille se préoccupe déjà de l'argent qui rentre ou ne rentre justement pas dans le foyer inquiète Yuka, qui ne pensait pas que leur budget serré serait un problème tout de suite. Elle ne se faisait pas d'illusions sur l'avenir, mais... si jeune ? Elle pensait avoir un peu de répit avant de ressentir cette honte légère de ne pas pouvoir faire une dépense aussi simple sans la prévoir plusieurs semaines à l'avance.

- Ce serait trop cool, répond sa fille. On pourrait le faire ensemble, en plus, tu ne crois pas ? Tu faisais du collage, quand j'étais petite, non ?

Sa mère entre définitivement dans la chambre de sa fille, qu'elle s'est battue pour avoir à l'agence immobilière, parce que c'était la plus lumineuse de tous les trous à rats qu'elle pouvait leur offrir. Et depuis quelques temps, l'adolescente la surprend à chaque fois qu'elle ouvre la bouche.

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