18.1. Ce qu'on apprend à faire

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Juin 3517


Elle rentre dans sa chambre discrètement, encore pourtant dans cette robe verte en tulle épais. Taeko ne se regarde pas dans le miroir, elle n'en n'a pas besoin. Elle s'est sentie elle-même toute la soirée, et en même temps, parfaite dans un rôle qu'elle n'avait plus joué depuis longtemps. C'est effrayant. Mais elle a adoré.

Elle se déshabille lentement, et glisse la robe dans son armoire, sur un cintre. Elle aurait pu l'acheter dans une boutique de haute couture, mais elle n'a fait que s'inspirer de ce qu'elle avait vu dans un magasine. La robe qu'elle avait prévu de porter était rouge, mais sur le coup, elle n'avait pu que lancer : « Oh, je crois que j'ai sous-estimé le rendez-vous... », avant de verdir sous leurs yeux. Le vert. La couleur de l'arrogance par excellence.

Elle finit par se regarder. Ses cheveux forment un chignon chic et mousseux, comme une barbe à papa couleur pomme, assortis à deux yeux de couleur émeraude mat. Voler un stylo. C'est tout ce qu'elle doit faire. Voler l'un des stylos du Principal Nezu. Mais pour quoi faire ?

- Prouver ma valeur, réalise-t-elle.

Elle se métamorphose une dernière fois, et se fixe. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas repris son visage aussi facilement, et en faisant face à son reflet. Son calme la perturbe un peu. Taeko regarde alors rapidement l'heure. Vingt-trois heures. Pas encore trop tard. C'est surprenant. Elle n'aurait traversé la ville qu'en trente minutes ? Possible.

La lycéenne enfile sa tenue de sport, et enfile ses chaussettes. Elle va aller frapper un peu avant de se coucher. Ça ne lui fera pas de mal.

- Et ça m'aidera sûrement à dormir...

Elle descend discrètement les escaliers, avec l'impression d'être bien moins discrète qu'à son retour. Tout lui semble plus lourd, soudain. Ses pieds, ses mouvements, la paire de chaussures qu'elle a dans les mains et qu'elle enfile avant de sortir. Dehors, l'uniforme bleu marine la cache un peu, dans la nuit, pour un peu qu'elle ne marche volontairement pas sur le sentier éclairé. Ce même sentier qui s'obscurcit brusquement, avant de se rallumer.

Elle regarde autour d'elle, sur ses gardes, recevant finalement un réconfort curieux et invasif. Elle fronce les sourcils, toujours aux aguets, et pousse finalement la porte du gymnase. La lumière y est encore allumée, et quelqu'un frappe l'un des sacs de sable dans le fond.

Tap, tac-tac, tap ! Tap-tap, tac, bam, tap !

Les respirations de l'adolescent sont fortes et courtes, Taeko s'approche en se disant qu'il doit être là depuis un bon moment. Elle le voit enfin, de dos, les épaules mouillées franchement de sueur, et les cheveux grossièrement attachés avec un élastique.

- Shinso ? appelle-t-elle.

Il sursaute et se retourne vivement, le souffle court.

- Taeko ? Qu'est ce que tu fais là ?

Elle enfile ses mains dans ses poches pour hausser les épaules.

- Je n'arrive pas à dormir. Je n'ai pas encore été me coucher. Et toi ?

- J'ai un trop plein d'énergie à évacuer.

Il se retourne vers le sac, et se remet à frapper, pendant qu'elle attrape un sac à côté de lui, pour l'accrocher au dessus de leur tête, grandissant assez pour attraper le crochet de métal au plafond bas de la partie musculation, et revenant à la normale pour enfiler des bandes. Elle pourrait mettre des gants. Mais les bandes blanches rendent le sang davantage visible. C'est un plaisir morbide qu'elle se garde avec le temps : le plaisir de voir son propre sang rougir le tissu. L'ultime preuve qu'elle a tout donné, avec ces mains qu'elle peut rapidement réparer.

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