Octobre 3512
La capuche sur ses cheveux, Taeko regarde ne regarde pas franchement autour d'elle avant de croiser accidentellement le regard de quelqu'un d'autre, dans la rue. C'est bref, et il ne lui semble pas reconnaitre la personne qui l'a croisée par inadvertance, mais un doute lui vient, et il suffit à lui retourner la tête. Elle vérifie que l'homme trapu ne la regarde plus, qu'il ne s'est pas retourné, et une fois qu'elle en est certaine, il lui vient l'idée qu'il n'était peut-être pas le seul. A l'avoir regardée.
C'est la première fois qu'elle ressent ça aussi fort. Non pas qu'elle l'ait déjà tout à fait expérimenté, elle se rend compte tout de suite que ce dérangement familier lui pèse de plus en plus, et de plus en plus brusquement.
C'est un ras de marrée.
Elle qui commençait à peine ses courses, la métamorphe s'était sentie observée tout du long de ses commissions. Et puis c'était les chuchotements des autres clients, à son passage, les œillades discrètes, avant les frissons, qui la gelaient sur place. En arrivant à la caisse, c'était pire. Elle s'était mise à redouter le moment où l'étudiant derrière la caisse, avec ses cheveux arc-en-ciel, allait ouvrir la bouche, et elle avait eu un coup de chaud. En arrivant finalement dans l'entrée de leur appartement, elle s'était rendu compte qu'elle transpirait à en avoir le front mouillé, que ses jambes étaient tellement engourdies qu'elle ne pouvait plus les lever, et qu'elle avait la nausée.
Elle se laisse tomber sur son lit, vidée d'énergie. La douche a comme aspiré les dernières gouttes qui lui restaient en échange de la fraicheur que lui a apporté l'eau courante.
Avec le plus de détachement possible, elle s'allonge correctement, sous la couverture, avec ce nez qu'elle a entre aperçu dans son reflet dans la robinetterie. C'était involontaire, mais suffisant pour que, en dépit de ce moment de grande faiblesse, elle se fasse la réflexion que le sien ne ressemble pas à ça, et qu'elle ne sait pas d'où lui vient cette certitude.
- Bon sang, je suis folle, marmonne-t-elle. Je suis en train de devenir folle.
Elle puise dans le fond de ses ressources pour prévenir sa mère qu'elle est malade, et qu'elle ne devrait pas entrer dans la pièce.
- J'espère que ça passera vite, j'ai un gros contrôle demain...
Le cliquetis de la porte d'entrée au moment où sa mère en tourne la poignée fait sursauter la collégienne qui s'était endormie. Elle avait cru si fort que c'était le son d'un appareil photo qu'elle en a du mal à s'asseoir dans les draps, les jambes repliées contre sa poitrine.
- Maman ? appelle-t-elle.
- Oui, c'est moi ! Je suis rentrée ! Comment tu te sens ?
Réalisant qu'elle n'a pas montré son visage à sa mère depuis un moment, la jeune métamorphe se recroqueville sur elle-même et se recouche, dos à la porte grande ouverte de sa chambre, d'où elle voit Yuka, encore en uniforme de femme de ménage, enlever ses chaussures.
- Est-ce-que ça va mieux ? demande-t-elle en s'approchant.
Taeko remonte la couverture jusqu'à son oreille, avant de répondre.
- Oui, un peu, mais pas tant que ça.
- Tu veux que je te fasse un mot, pour demain ?
- Je ne suis plus en primaire, maman, tu ne peux pas juste « me faire un mot » parce que je suis patraque.
Sa mère pince les lèvres, vaguement inquiète. Sa fille semble aller mieux que lorsqu'elle lui a envoyé ses quelques messages rapides. Mais mieux ne veut pas dire nécessairement qu'elle va assez bien pour aller en classe le lendemain.
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Métamorphe
FanfictionCycle I, Livre II D'un côté, il y a Taeko, et de l'autre, Sera, visages de l'apprentissage héroïque semé d'embuches et au cruel point commun d'un alter aux conséquences désastreuses : la métamorphose. Parce qu'il peut être si dur d'être soi quand on...