Je n’étais pas allé travaillé mais j’étais résolue à y retourner dès lundi. Il serait quand même malvenu de me faire licencier.
L’horloge murale de la cuisine indiquait 17h15. J’ouvris le placard de l’entrée et en sortis mon sac de danse. Je commençai à y rassembler mes affaires. Alors que j’avais rangé mon sac et répété ces gestes des centaines de fois, ils étaient maintenant hésitants. Je tentai de me souvenir pendant un bon moment où était habituellement rangé mon nécessaire à maquillage avant d’opter pour la pochette intérieure. Une fois prête, j’enfilai ma veste et inspirai un grand coup. Puis je sortis.
L’air frais me chatouilla le visage et je me dis que cette sensation m’avait quand même manqué. Je marchai rapidement jusqu’à ma voiture et m’y engouffrai, soulagée de me retrouver de nouveau dans un espace confiné. Ma concentration étant loin d’être au beau fixe en ce moment, je faillis provoquer pas moins de trois accrochages entre mon appart et l’Harmonium. Je me demandai un peu plus à chaque kilomètre ce que je foutais sur la route plutôt que pelotonnée chez moi. Je dus me faire plusieurs fois violence pour ne pas faire demi tour.
Arrivée sur le parking de l'Harmonium, j’éteignis mon moteur et me laissai aller au fond de mon siège. J’observai un instant, le cœur battant, ce bâtiment si familier. Cet endroit où j’avais pu le croiser à chaque instant, à chaque détour de couloir. Ce lieu imbibé de sa présence.
- Arrête, c’est juste des tuiles, des poutres et du putain de carrelage, me morigénai-je à haute voix.
Je sortis brusquement de la voiture pour ne pas me laisser le choix. Je montai les marches du parvis et passai les portes vitrées. L’odeur si particulière de l'Harmonium était toujours présente ; un mélange de produits ménagers, de chlore et de vestiaires sportifs. Je filai directement vers le studio, désireuse de croiser le moins de monde possible. Je passai devant les baies vitrées de la salle de danse et m’aperçus que j’étais l’une des dernières. Je ne m’en formalisai pas ; c’était déjà un miracle que je sois venue. J’entrai directement dans les vestiaires, déserts. Je me changeai rapidement, sentant l’énergie qui m’avait abandonné ces dernières semaines revenir lentement. Lorsque je rejoignis les autres, un brouhaha comme on en entendait rarement dans un studio de danse, emplit mes tympans. Retours de vacances, l’ambiance était aux effusions et aux bavardages. Je faillis partir en courant.
- Alie !
Wendy se précipita vers moi et m’étreignit. Je tentai de dissimuler mon mouvement de recul en lui faisant la bise.
- Je suis contente de te voir ! Tes vacances se sont bien passées ? S’enquit-elle tandis que Camille nous rejoignait.
Je jetai un regard sceptique et agacé à Wendy avant de me souvenir que nous ne nous étions pas vues depuis deux mois. Bien qu’elle et Camille soient au courant des événements, j’avais passé mon été à répondre à leurs messages en assurant que tout allait bien et que je m’éclatais comme une folle. En fin de compte, elles n’avaient aucune idée ce que qu’était – ou n’était plus – ma vie depuis qu’il était parti. Mieux valait que cela reste ainsi.
- Oui, c’était super, mentis-je donc. Et toi ?
Wen embraya sur ses activités de l’été et je croisai le regard de Camille qui m’observai d’un air scrutateur. Je n’y prêtais pas attention et partis saluer Nicole. Elle m’ignora presque, se contentant d’un vague signe de tête. Me revint alors en mémoire notre mémorable accrochage après la première épreuve du championnat. Je fus étonnée qu’elle m’en tienne toujours rigueur. En fait, il m’était très étrange de m’imaginer que toutes les personnes présentes avaient continué à vivre, à penser, à rire, à entretenir certaines rancunes pendant tout l’été alors que, pour moi, le monde s’était arrêté.
- Bon, les vacances sont finies ! S’exclama soudainement Nicole, d’un ton sec. J’espère que vous avez tous bien profité mais il est grand temps de se remettre au travail.
Elle nous enjoignit à prendre place sur les repères et la musique sur laquelle nous allions nous échauffer brisa le silence qui s’était installé.
Ce fut comme si mon cerveau et mon corps s’étaient soudainement remis en route. A peine eus-je entendu les premières notes, que je me sentis pleinement réveillée. J’esquissai les premiers mouvement et je ressentis une forte émotion, comme lorsque l’on rencontre par hasard un ami que l’on n’a pas vu depuis longtemps. Je répétai les pas de bourrées que Nicole venait d’effectuer.
- Aïe…, ne pus-je m’empêcher de lâcher tout bas.
Mes muscles, atrophiés par l’immobilité, protestèrent immédiatement. Je me mordis les doigts de ne pas avoir davantage pris soin de mon corps ces temps derniers. Il allait me le faire payer. Tant pis, je méritais peut-être de souffrir.
Les muscles en feu et les pieds en charpie au bout de trente minutes d’entraînement, je n’en continuai pas moins à m’appliquer. J’occultai la douleur et me rendis soudain compte que j’entendais de nouveau battre mon cœur contre ma poitrine. Une lueur d’espoir brilla dans un coin de mon esprit perturbé : j’étais encore capable d’apprécier quelque chose. J’aimais toujours la danse.
J’aurais dû maintenant savoir que la vie était une garce ; elle s’amusait à vous faire miroiter le bonheur un bref instant, avant de vous ramener à la réalité avec son lot d’emmerdes, de douleur et de désillusions. A peine eus-je passé la porte de mon appart que le bénéfice de l’entrainement fit place à la chape de plomb qui m’écrasait le cœur depuis son départ.
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Canada Blues 2
General FictionLe cœur brisé et séparés par un océan, ils tentent de reconstruire leur vie. Entre coups du destin et chemins qui se croisent, découvrez la suite des aventures d'Alicia et Danick.