Samedi 4 juin 2016

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2 ans plus tard

J'insérai la clef dans la serrure et ouvris la porte de l'appartement. Épuisée, je laissai tomber mon sac de danse dans l'entrée, déposai mes clefs sur le guéridon et entrai dans le salon que je trouvais vide.

- Matt ? Appelai-je.

- Salut, bébé.

Matt sortit de la salle de bain, uniquement vêtu d'un bas de jogging. Ses courts cheveux bruns étaient ébouriffés et encore mouillés. Les muscles de ses abdominaux saillaient sous sa peau claire. Il m'adressa son habituel sourire charmeur avant de déposer un baiser sur mes lèvres. Il sentait bon le gel douche.

- Salut. Tu es rentré tôt, répondis-je, étonnée de le voir déjà revenu.

- Alex m'a demandé de prendre une de ses gardes la semaine prochaine alors je lui ai refilé celle de ce soir.

- Et ta journée ?

- Rien de spécial. Deux malaises et un accident de la route. Le mec était plutôt mal en point ; j'avais rarement vu une fracture ouverte aussi sanglante, ajouta t-il avec un sourire amusé.

Je fis la grimace. Son métier de pompier le rendait insensible à toutes sortes de choses. Personnellement, la vue du sang pouvait facilement me faire tourner de l'œil.

- Génial, lâchai-je en enlevant mes chaussures.

Matt se laissa tomber dans le canapé et s'empara de la télécommande.

- Et toi ?

- La routine. Pas de fractures ni de sang. Pas même un étourdissement.

- Ennuyeux, quoi.

Je lui tirai la langue et filai dans la salle de bain.

- Qu'est ce qu'on mange ? L'entendis-je demander depuis le salon.

- J'en sais rien, répondis-je en levant les yeux au ciel. Fais preuve d'imagination.

- Ok. Je commande une pizza.

Je soupirai, résignée. Matt n'était pas du genre à cuisiner. Ni à faire le ménage, d'ailleurs. Il se laissait vivre et il estimait que c'était déjà pas mal. Je ne repassais pas derrière lui ; il était assez grand pour se rendre compte que l'appart avait besoin d'un coup de propre. Je veillais seulement à ce que les placards ne soient pas constamment vides. Après tout, ce n'était pas chez moi.

J'avais emménagé chez Matt quelques mois plus tôt. Emménagé était d'ailleurs un grand mot pour quelqu'un qui passait à peine la moitié de son temps ici. Depuis près d'un an, j'enchaînais les déplacements en Europe. J'en avais eu assez de dépenser de l'argent dans la location d'un appartement que je n'occupais que deux semaines par mois, à peine. Sur un coup de tête, j'avais donc résilié mon bail, loué un petit garde meuble bon marché pour y entreposer mes quelques meubles et j'avais déposé mes valises chez Matt. J'étais donc, à proprement parlé, sans domicile fixe. J'avais un point de chute, tout au plus. Cette situation ne me plaisait pas outre mesure mais c'était le meilleur compromis que j'ai trouvé pour le moment. Et Matt avait insisté pour que je considère son appartement comme le nôtre.

Entre mes déplacements et les gardes à la caserne de Matt, nous ne faisions que nous croiser. Matt s'en plaignait régulièrement. De mon côté, je trouvais ça très bien, sans lui avoir vraiment avoué. Je soupçonnais que c'était grâce à nos emplois du temps surchargés que nous nous entendions si bien. Je profitai encore davantage des moments passés ensemble parce qu'ils étaient rares. Notre relation n'avait rien de vraiment passionnel mais elle m'avait apporté l'oxygène et la stabilité dont j'avais besoin.

J'aimais vraiment beaucoup Matt, j'avais énormément d'affection pour lui. Et ces sentiments me suffisaient. La passion torride, l'ivresse amoureuse, la frénésie enfiévrée, je les laissais aux autres. C'était bien trop destructeur, lorsque tout s'arrêtait.

Matt était quelqu'un de simple à cerner et à comprendre, facile à vivre. Il ne s'encombrait pas de grands rêves ou d'idéaux, il se contentait de ce qu'il avait, d'une façon rafraîchissante. Il était drôle, léger, attentionné à sa manière. Il pouvait se montrer parfois un peu colérique, têtu ou même borné, mais cela ne me dérangeait pas, au contraire. J'avais l'impression de me retrouver en lui et cela apportait un peu de piquant à notre quotidien.

Cela faisait maintenant presque deux ans que nous nous fréquentions. Deux ans que j'étais devenue championne de France. Deux ans que j'étais tombée sur lui sur le parking de mon ancienne résidence et qu'il m'avait emmenée boire un verre. J'avais l'impression que c'était hier, le temps avait filé à une vitesse ahurissante. Ce constat m'angoissait, j'avais toujours le sentiment de laisser ma vie s'écouler en loupant le plus important. Sans vraiment mettre le doigt dessus.

Après ce premier verre ensemble, Matt m'avait invité à diner. J'avais ressenti des émotions contradictoires à l'idée d'entamer une nouvelle relation. De l'appréhension, un certain malaise même, mais aussi de la curiosité. Je m'étais demandé si j'étais encore capable de me laisser aller à ces sentiments. J'avais eu de sérieux doutes. Mais Matt avait rapidement réussi à me mettre en confiance et j'avais baissé ma garde. Il s'était approché de mon cœur qui, à défaut de s'être ouvert, lui avait montré la voie pour m'apprivoiser.

Je sortis de la douche en même temps que de mes pensées. J'essuyai vigoureusement mes cheveux puis enfilai une chemise de nuit. Je rejoignis Matt, installé dans le canapé. Je m'allongeai près de lui et posai ma tête sur ses cuisses. Il caressa doucement mes cheveux, sans quitter la télé des yeux.

- Quand repars-tu ? Demanda t-il.

- Pas avant le 24. C'est la dernière tournée avant quelques semaines de vacances.

Il apprécia la nouvelle d'un petit signe de tête.

- Tu pars toujours une semaine avec ta famille en Vendée ?

- Oui, acquiesçai-je. Je suis déçue que tu ne puisses pas m'accompagner.

Matt travaillerait. Nous allions devoir attendre quelques semaines de plus pour des vacances en amoureux.

- Moi aussi. Mais je suis sûr qu'avec Romain et David, tu ne vas pas t'ennuyer, ajouta t-il avec une légère nuance amère dans la voix.

Je ne relevai pas. La sonnette retentit et Matt alla ouvrir au livreur. Nous nous installâmes devant le programme du soir en dégustant notre pizza. Puis, le film terminé, nous allâmes nous coucher. Je me blottis contre lui, cherchant sa chaleur et espérant un câlin. Mais à peine Matt avait-il posé la tête sur l'oreiller qu'il s'endormit.

Canada Blues 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant