Samedi 16 juillet 2016

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Les mains plongées au fond de ma valise, je tentai depuis dix minutes d'y faire rentrer les vêtements qui s'éparpillaient encore sur mon lit. Lorsque j'essayai de la fermer pour la cinquième fois sans résultat, j'envoyai valser avec humeur ce qui me tomba sous la main - mon fer à lisser.

Le dernier jour des vacances était arrivé et nous devions prendre la route dans une petite heure. Depuis mon réveil, je luttai contre une appréhension tenace. L'idée que j'allais devoir dire au revoir à Dan dans quelques heures, sans avoir une idée précise de ce qui nous attendait, m'angoissait. J'essayai de me dire que les choses rentreraient peu à peu dans l'ordre.

Après deux heures d'intense ménage et de rangement, nous étions prêts à partir. Je m'installai à l'arrière de la voiture de Martin, Dan à mes côtés et Jamie sur le siège passager. Dan me prit la main et se cala confortablement au fond de la banquette. Puis il posa les yeux sur moi et m'adressa un regard plein de tendresse. Je savais qu'il ressentait la tension qui m'animait. Il la partageait probablement dans une certaine mesure mais Dan avait toujours était plus maître de ses nerfs que moi.

La voiture démarra et je posais ma tête sur son épaule, avec l'intention de profiter de sa proximité tant que je le pouvais encore.

***

Cinq heures plus tard, Martin se gara au coin de la rue de Matt. Je leur dis au revoir et descendis de voiture avec Dan. Il sortit ma valise du coffre et nous nous éloignâmes de quelques mètres pour davantage d'intimité. Je levai des yeux déjà humides vers lui. Les lèvres de Dan s'étirèrent en un petit sourire amusé et il anticipa ma réaction. Il prit mon visage dans ses mains.

- Ce n'est qu'un au revoir, Princesse. Je reviens dans quelques jours.

J'acquiesçai en silence, la gorge nouée.

- Ça va aller ? S'inquiéta t-il en sondant mon regard.

Je devinai aisément qu'il faisait allusion à Matt. Je haussai les épaules, peu assurée.

- Ce ne sera pas agréable mais, oui, ça va aller. Et toi ? Demandai-je avec un léger trémolo dans la voix.

- Pareil. Je suis impatient que tout cela soit derrière nous. Et de commencer notre nouvelle vie, ajouta t-il en posant son front contre le mien.

Je parvins légèrement à sourire en songeant à l'avenir qui se profilait. Y songer me provoquait des frissons d'impatience. Je pressai mon corps contre celui de Dan, savourant la sensation de sa peau contre la mienne. Il m'embrassa longuement, un baiser plein de promesse. Puis il recula légèrement.

- Je vais devoir y aller, mon amour. Je ne veux pas faire attendre les autres plus longtemps.

Je tentai d'ignorer un pincement au cœur particulièrement désagréable et hochai difficilement la tête.

- D'accord. Bon courage avec Manon...alors.

Il leva doucement mon menton vers lui pour accrocher mon regard.

- Ne t'inquiète pas pour ça. Appelle moi quand tu auras parlé à Matt, je veux savoir comment ça s'est passé.

- OK. Je crois qu'il doit rentrer en début de soirée, dis-je en sentant mon cœur s'accélérer à cette évocation.

Dan plissa les yeux et se pencha davantage vers moi.

- Et interdiction de se dire adieu sous la couette, déclara t-il avec tout le sérieux du monde.

- Pour qui tu me prends ? M'offusquai-je en levant les yeux au ciel.

- Pas de baisers non plus.

Je fis la grimace. Autant ne pas coucher avec Matt coulait absolument de source, autant ne pas l'embrasser me paraissait plus compliqué. C'est naturellement ce qu'il ferait dès qu'il passerait la porte de l'appartement. Je n'allais quand même pas le rejeter dès la première seconde.

- Alie, insista Dan en m'observant avec insistance.

- Tu comptes t'y prendre de quelle façon pour ne pas embrasser Manon à ton arrivée à l'aéroport, dis-moi ?

Dan pencha la tête sur le côté, paraissant réfléchir à la question. Je vis dans ses yeux qu'il n'en avait aucune idée.

- Ne m'impose pas ce que tu ne peux pas non plus me promettre, le taquinai-je avec un sourire.

Mon sourire n'était d'ailleurs que de façade puisqu'une violente envie de vomir me tenaillait l'estomac dès que j'imaginai la bouche de Dan sur celle de Manon.

- Très bien, capitula t-il. Ce sera probablement inévitable. Mais je ne veux pas le savoir, ajouta t-il avec une lueur de colère dans les yeux.

- Fais moi confiance, murmurai-je en caressant doucement ses lèvres du boit des doigts.

- Je te fais confiance, Princesse. C'est simplement que ça me rend fou de t'imaginer avec lui cette nuit.

- Je sais. Tu occuperas toutes mes pensées. Je t'aime.

- Je t'aime, répondit-il, le regard un peu éclairci.

Il m'embrassa une dernière fois et s'éloigna à reculons. Je sentis mon cœur se déchirer en deux, envahie par un étrange pressentiment. Comme si les choses n'allaient pas se dérouler comme prévu. Une nouvelle fois.

Refoulant ces tristes pensées, j'empoignai ma valise et entrai dans le hall de l'immeuble. La mort dans l'âme, je montai la volée de marches qui me séparaient du second étage et pénétrait dans l'appartement. L'endroit était vide et silencieux, ce qui n'arrangea en rien ma déprime naissante. Je fis rouler ma valise dans un coin du salon et me laissai choir dans le canapé. Mon regard erra un instant sur la pièce, m'arrêtant sur les quelques photos de Matt et moi encadrées sur l'étagère murale. Nouveau pincement au cœur.

De quelle façon allais-je lui annoncer que je le quittais ? Devais-je lui dire la vérité ? Que je partais pour un autre homme ? Et Dan, qui plus est ? Ou devais-je lui épargner un maximum de « détails » ? J'allais terriblement le blesser, alors je ferais peut être mieux d'édulcorer un peu les choses. J'hésitai un moment sur la conduite à tenir, les yeux dans le vague. Avant de me dire que non, Matt ne méritait pas que je lui mente. J'avais déjà irrémédiablement trahi sa confiance, je lui devais au moins d'être honnête lors de notre séparation. Même si cela s'annonçait affreusement douloureux.

Je levai les yeux vers l'horloge numérique du micro onde qui indiquait 18h47. Matt était censé finir sa garde à 19h. Il ne tarderait pas à rentrer. Je ne savais pas si je voulais que le temps accélère pour que ce mauvais moment soit derrière moi ou qu'il ralentisse parce que je commençait sérieusement à flipper. Je m'attendais à une réaction assez violente de sa part - pas physiquement bien entendu, mais Matt pouvait se montrer très dur dans ses mots et ses expressions. Il ne m'épargnerait pas, c'était une certitude. Et je ne pourrais pas l'en blâmer.

Pour passer le temps, je songeai à commencer à rassembler mes affaires. Mais le courage me manquait. Et je n'avais de toute façon pas grand-chose à remballer. L'essentiel de ce qui m'appartenait se réduisait à quelques fringues, des affaires de toilettes et le contenu de ma valise déjà faite. Mouais. Definitivement déprimant. L'avantage était que je ne risquais pas d'envahir l'espace vital de Romain et Margot lorsque je m'installerai chez eux le lendemain. Voir dans la soirée si les choses se déroulaient vraiment très mal. Ce qui était fort probable.

Mon téléphone m'annonça l'arrivée d'un message. Matt.

« Bien rentrée, ma chérie ? Désolé, ne m'attend pas. Incendie sur la zone industrielle. Je ne sais pas quand je rentre. Hâte de te voir. JTM »

Je retombai au fond du canapé avec un soupir. Ce répit était finalement très malvenu. J'allais me ronger les sangs pendant des heures en plus de tourner et retourner dans ma tête mes vaines justifications. J'avais toujours aussi peur pour lui - Oui, même après avoir piétiner son ego et sa confiance. J'espérais qu'il ne ferait rien de dangereux et qu'il serait vite rentré.

Tout en ayant honte de moi-même, je ne pus empêcher une idée plutôt agréable de traverser mon esprit : peut être pourrais-je rejoindre Dan pour voler encore quelques heures de bonheur avant son départ ? Mais je me repris aussitôt. Matt pouvait rentrer à tout moment dans la soirée et il était hors de question que je sois absente à son retour.

Maussade, je me préparais à passer une soirée seule avec la télé, un paquet de chips et ma culpabilité.

Canada Blues 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant