Samedi 26 avril 2014

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A mon réveil, ma première pensée fut que la finale de la coupe du monde de hockey aurait lieu à 17h, heure française, aujourd'hui. Il allait jouer le match le plus important de sa carrière. Cette idée m'électrisait ; je souhaitais de tout cœur qu'il réalise son rêve. Ça voudrait dire que je ne l'aurais pas laissé partir pour rien. Que malgré la douleur, le chagrin et la souffrance, ma décision aurait eu du sens.

Je ne savais pas encore si j'aurais le courage de regarder le match qui serait diffusé à la télé. J'en avais très envie, mais ma conscience me soufflait que cela ne serait pas raisonnable. Romain, David et le reste de l'équipe se retrouvaient tous chez David pour le match et j'avais été conviée, bien sûr. Mais je n'avais pas envie de me retrouver confrontée à son image devant tout le monde.

***

Au début de la séance d'entraînement, Nicole nous rassembla au milieu du studio et demanda notre attention.

- Comme vous le savez, il ne reste plus qu'un mois avant le début du championnat, déclara t-elle. Et le niveau sera particulièrement élevé. Pour ceux qui se sont qualifiés, je donnerai des cours supplémentaires à partir de lundi. Ça vous convient, vous cinq ? Ajouta t-elle à notre intention.

Nous acquiesçâmes et Nicole nous invita à nous mettre en place pour l'échauffement.

L'entrainement prit fin vers 13h15. Nicole me fit signe de la rejoindre.

- Pour le projet, me fit-elle tout bas, ça avance. Je ne peux pas t'en dire plus mais je voulais que tu saches que c'était toujours d'actualité.

- Ok, souris-je. Je suis contente de le savoir.

- Et c'est également toujours d'actualité, que tu gagnes ce championnat, ajouta Nicole avec sévérité.

- On est bien d'accord, conclus-je avec amusement avant de tourner les talons.

Je restais m'entraîner jusque 16h30 puis rentrai chez moi, une question lancinante à l'esprit : aurais-je le courage de regarder le match ? Je laissai tomber mon sac dans l'entrée et me plantai devant la télé, dans l'expectative. Puis je m'emparai de la télécommande dans un accès de témérité. J'allumai la télé et tapai rapidement sur les touches 2 et 1. L'image s'afficha. Je me laissai choir dans le canapé, le manteau encore sur le dos et le cœur battant. Sans oser poser mes yeux sur les joueurs, je fixai le coin supérieur gauche de l'écran ; il restait six minutes avant la fin du premier tiers et le score était de 0-0. Je fermai les yeux un instant, me préparant au choc que je ne manquerai pas de ressentir lorsque je le reconnaîtrais. Mon regard eut à peine glissé sur la patinoire que je le vis. De dos, rentrant sur le banc. Mon rythme cardiaque s'accéléra si brusquement que cela en fut douloureux. Le voir ainsi se mouvoir, bouger, patiner, en sachant qu'il s'agissait de direct et qu'il faisait donc ces gestes en ce moment même... C'était une sensation indescriptible. L'impression que nous étions presque ensemble... tout en restant consciente que ce n'était pas le cas. Je savais qu'il n'avait pas conservé le numéro 86 au sein de la Team Canada. Il portait maintenant le numéro 10. Je rêvais un instant que c'était en raison de ma date de naissance. Avant de brider ma joie puérile en songeant qu'il avait probablement pris ce qu'il restait.

Les attaquants finlandais firent une rapide incursion dans la zone défensive des Canadiens. Les supporters canadiens et moi retînmes notre souffle...jusqu'a ce que le palet termine sa course au fond du but canadien. Un énorme souffle de déception se fit entendre et je ne pus m'empêcher de lâcher un juron. La sonnerie de fin de tiers retentit et les joueurs rentrèrent dans les vestiaires. Les publicités remplacèrent la patinoire. Je tournai en rond pendant dix bonnes minutes, impatiente que le match reprenne. J'espérais que le match tournerait en faveur du Canada. Il ne pouvait pas échouer si près du but.

Le second tiers débuta. Pendant vingt minutes, je n'aurais pu dire laquelle des deux équipes dominait l'autre. C'était un des plus beaux matches qu'il m'avait été donné de voir. Le jeu était rapide, précis, cadencé. C'était le résultat qu'on obtenait quand on regroupait les meilleurs joueurs du monde. Je souris de fierté en songeant qu'il en faisait partie. A une minute de la fin, Tommy Jones, le canadien qui portait le numéro 78 parvint à feinter la défense adverse et shoota. Il marqua. Je me cognai le genou contre le rebord de la table basse quand je sautillai de joie sur place. Je regardai avidement la télé, espérant l'apercevoir fêtant ce but plus que bienvenu. Malheureusement, je n'eus pas ce plaisir. La sirène annonça la fin du second tiers. Un score de un partout à ce moment du match promettait un dernier tiers temps plutôt épique. Je trépignai d'impatience dans mon canapé tandis que les pubs défilaient.

Quinze minutes plus tard, la patinoire refit enfin son apparition à l'écran. Les joueurs étaient déjà de retour sur la glace et l'arbitre siffla le début du tiers immédiatement. Il était à l'engagement ; il le remporta et son coéquipier récupéra le palet avant de foncer vers la zone offensive. Mais c'était sans compter la défense adverse qui était d'une réactivité incroyable. Plusieurs mètres séparaient encore le joueur canadien du but finlandais que l'intégralité de la défense était déjà devant lui. Impossible de passer ; les canadiens perdirent le palet. Les finlandais contre attaquèrent immédiatement et s'approchèrent dangereusement de la cage. Une faille se dessina dans la défense canadienne et l'adversaire le vit. Ce n'est que grâce à l'habilité du gardien que les canadiens n'encaissèrent pas de second but.

L'intégralité du tiers temps se passa de la même manière. Attaque sur contre attaque, les joueurs ne lâchaient rien. C'était un superbe spectacle, du hockey comme j'aimais. Il ne restait qu'une minute avant la fin du match. Il était probable qu'il y ait prolongation. Un attaquant finlandais perdit alors le palet alors qu'il se trouvait dans sa zone défensive. Grave erreur. Les ongles enfoncés dans la peau, je le regardai récupérer le palet et se diriger promptement vers la cage adverse. Je sentis le stresse m'envahir. J'imaginais ce qu'il pouvait ressentir à ce moment. Une intense concentration mêlée à une incroyable pression. Je croisai les doigts et me levai, ne tenant plus en place. Il n'était plus qu'à deux mètres du but. Deux défenseurs lui barraient la route. Je ne compris même pas comment il fit. Il esquiva les deux finlandais avec un petit saut parfait. Le gardien ne sembla pas s'y attendre. Je jetai un coup d'œil au compteur ; il restait dix-sept secondes. Il shoota et le palet fila au fond de la cage. La sirène de fin de match retentit.

Je failli renverser ma table basse quand je me mis à sauter sur place en criant de joie. Frappant dans mes mains, je ne quittais pas l'écran des yeux. Pour mon plus grand bonheur, la caméra zooma un long moment sur lui. Le cœur battant, je l'observai avec tendresse et admiration. Il était encore plus beau que dans mes souvenirs, même en partie dissimulé par son équipement. Je distinguai son sourire à tomber quand ses coéquipiers se jetèrent sur lui pour fêter la victoire et ce but miraculeux. J'avais du mal à y croire ; il était champion du monde... Il était champion du monde !

Je dansai comme une folle dans mon salon. C'était comme si je venais de réaliser mon propre rêve. Il l'avait fait. Et avec tellement de classe !

Les commentateurs hurlaient leur joie et les supporters avaient enflammé les gradins. Comme j'aurais aimé être là bas. Être parmi tout ces gens qui fêtaient cette magnifique victoire. Cette pensée me rendit triste et m'irrita. Je ne pus m'empêcher de penser qu'elle, Teresa, était probablement parmi les supporters, dans les gradins à hurler sa joie. Peut-être avait-elle sorti ses pompons de cheerleeder pour l'occasion. Avec colère et chagrin, je me dis que ça aurait dû être moi. Moi qu'il aurait embrassé avec passion en sortant des vestiaires. Moi qui l'aurait félicité en lui disant que je l'aimais. Moi qui aurait eu la chance de m'endormir à ses côtés ce soir, après avoir fêté l'événement comme il se devait.

Je sentis mes larmes - ces vieilles amies- se remettre à couler, partagée entre des sentiments contradictoires. Le bonheur qu'il ait atteint son rêve et de savoir que je n'avais pas gâché son avenir en acceptant qu'il reste. Et le désespoir de ne plus faire partie de sa vie.

Canada Blues 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant