Vendredi 23 août 2013

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Lorsque j'entrai dans les bureaux du club, seul Éric était présent. Encore un que j'étais enchantée de revoir... Je déposai mon sac et mon manteau et entrai dans son bureau pour le saluer. Je lui serrai la main en lui demandant, par politesse, si son été s'était bien passé. Je n'écoutai pas la réponse et me mis au travail, guère motivée. Alors que je tentai de faire un tri dans mes mails, je me demandais si la saison avait déjà repris au Canada. Mon cœur se serra douloureusement et je m'obligeai à ne plus y penser.

Le premier entraînement des Condors avait lieu aujourd'hui, à 15h. Je devais descendre leurs contrats pour qu'ils les signent comme à chaque début de saison. Je rassemblai donc les documents et pris la direction des vestiaires, le cœur battant, stressée d'y retourner. J'arrivai devant la porte et frappai. Personne ne me répondit ; les joueurs étaient toujours sur la glace. J'entrai, refermai la porte et fis quelque pas. Mon regard fit le tour de la pièce et je me sentis soudain prise de vertige. Il était partout ; dans le couloir, rentrant de la patinoire, le casque sous le bras ; assis sur un banc, dénouant les lacets de ses patins ; debout devant son casier, torse nu ; adossé contre le mur, dévorant une gaufre au sirop d'érable, les yeux pétillants de gourmandise. Je fermai les yeux. Je sentis alors son odeur et j'entendis sa voix. La netteté de ces projections me fit paniquer. Une violente nausée fit tressaillir mon estomac et je crus que son contenu allait terminer sur le sol. Je rouvris les yeux, désorientée. Je n'avais pas entendu les premiers joueurs s'engouffrer dans les vestiaires. Certains ne m'avaient pas remarqué, d'autres m'observaient, étonnés. Je tournai les talons, le cœur battant à m'en briser les côtes. Je traversai le couloir, le souffle court, les larmes menaçant de faire leur apparition. Arrivée devant les baies vitrées, je fis les cent pas, inspirant et expirant pour calmer mon rythme cardiaque. J'avais la gorge nouée, mes lèvres tremblaient et je peinais à respirer.

- Hey, ça va ? S'inquiéta une voix douce.

Je levai la tête et David me dévisagea, une ride d'anxiété barrant son front. Je me pinçai les lèvres, incapable de parler et lui fis signe que oui. Il ne fut pas convaincu. Il s'approcha de moi et posa ses mains sur mes épaules.

- Qu'est-ce qui te met dans un état pareil ?

Je haussai les épaules et, les jambes flageolantes, je me laissai tomber sur un banc. David m'imita, encore chaussé de ses patins.

- Je t'ai vue, plantée au milieu des vestiaires, dit-il. Tu avais l'air paumé. Qu'est-ce que tu as ? Insista t-il en me donnant un petit coup d'épaule.

- C'est juste... que ça fait drôle qu'il ne soit plus là, soufflai-je.

Ces mots ne reflétaient pas le moins du monde le raz de marée de douleur qui m'avait noyé le cœur. Ça ne faisait pas « drôle ». Ça faisait mal, ça détruisait, ça rendait dingue, mais ce n'était pas drôle, non.

David me regarda, semblant compatir.

Romain vint nous rejoindre et s'assit à son tour à mes côtés. Lorsque son regard croisa le mien, je sus que je n'aurais pas besoin de dire quoi que ce soit. Il avait déjà compris et remarqué mes yeux brillants et mon air hagard. Il soupira et tapa doucement sur ma cuisse.

- Allez cousine, bouge tes fesses, me secoua t-il gentiment. Les gars t'attendent pour partir.

J'acquiesçai silencieusement et me relevai. Plus vite j'y retournerai, plus vite ce serait fini. J'inspirai un grand coup et passai de nouveau la porte des vestiaires.

Canada Blues 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant