Dimanche 18 août 2013

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Je n’étais pas allé travailler de la semaine. J’avais été quémander un arrêt de travail à mon médecin qui, de toute façon, me trouva suffisamment déprimée pour le mériter. Je n’étais pas sortie une fois, les rideaux étaient restés tirés – je n’avais pas envie de lumière – et je ne me rappelais pas de m’être levée une seule fois pour autre chose que rejoindre mon lit ou mon canapé. J’étais amorphe et je m’en foutais.

On frappa à ma porte. Je ne me sentis pas la force de me lever. Comme d’habitude, cela n’arrêta pas Romain. Je le distinguai difficilement dans l’obscurité de mon appartement. Il stoppa à l’entrée du salon et regarda autour de lui. Puis il s’approcha de moi, se laissa tomber dans le canapé et resta silencieux un instant.

-          Tu es sortie cette semaine ? Demanda t-il sur le ton de la conversation.

Le son de sa voix me fit presque sursauter. Je n’avais pas entendu quoi que ce soit depuis des jours, complètement enfermée dans ma bulle solitaire et silencieuse. Il me fallut quelques secondes pour comprendre le sens de ses paroles. Il me posait une question. Probablement attendait-il une réponse. Je fis un effort surhumain pour tenter de sortir de l’épais brouillard qui ne me quittait plus. Je levai les yeux vers Romain et secouai négativement la tête. Il acquiesça lentement en pinçant les lèvres avec une moue réprobatrice mais il sembla prendre sur lui.

-          Tu as ouvert les rideaux ? Continua t-il en essayant de garder son calme.

Je hochai de nouveau la tête.

-          Ok. Et tu crois que ça va durer encore longtemps ? Dit-il plus durement tandis que son regard s'attardait sur mon pyjama.

Je haussai les épaules, absolument pas intéressée par cette question.

-          Putain, tu voudrais bien me répondre ? S’agaça Romain en haussant le ton.

Je tentai de me secouer.

-          Je…sais pas, marmonnai-je difficilement, la voix enrouée de ne pas avoir servie depuis des jours.

-          Tu sais pas? Répéta Romain en haussant un sourcil.

Il poussa un soupir et prit ma main dans la sienne.

-          Ça ne peut plus durer, Alie. Ça ne te ressemble pas de t’enfermer chez toi et de ne plus voir la lumière du jour. Il faut que tu bouges, ajouta t-il en me secouant.

-          Laisse moi tranquille, protestai-je, mollement.

Mon cousin se recula et me dévisagea longuement, une ride d’inquiétude barrant son front.

-          Qu’est-ce qui t’arrive… ? Souffla t-il.

Voyant que je n’ouvrais toujours pas la bouche, il secoua la tête.

-          Je croyais que ça t’avais fait du bien l’Australie.

-          Moi aussi, lâchai-je.

-          Ecoute, si tu ne te sens pas capable de vivre sans Dan – mon estomac se noua douloureusement – va le rejoindre. Ce sera toujours mieux que de rester à te morfondre chez toi.

-          J’en suis capable, répliquai-je sèchement en me tournant brusquement vers lui.

L’expression on ne peut plus sceptique de mon cousin m’agaça.

-          J’en suis pas sûr, insista t-il. Tu crois qu’il apprécierait de savoir que tu te comportes de cette manière ?

Je le fusillai du regard tandis qu’une onde de panique m’envahissait.

-          Ne lui dis rien, ordonnai-je d’une voix tremblante.

-          Et pourquoi pas ?

-          Parce que je ne veux pas qu’il sache. Il n'a pas besoin d’entendre ça, dis-je en sentant mes yeux s’humidifier. C’est moi qui lui ai dit de partir, d’accord ? Je t’interdis de lui en parler.

Ma voix était dure, mon regard ne lâchait pas le sien et je me sentais prête à perdre mon sang froid. Je voulais absolument que Romain comprenne. Il était inimaginable qu’il apprenne à quel point j’étais devenue une loque. Quelle image aurait-il de moi ? Après toutes ces choses horribles que je lui avais dites avant son départ ? Je ne devais pas être égoïste ; même si cette idée m’était insupportable, je ne l’avais pas laissé partir pour qu’il culpabilise de l’état déplorable dans lequel j’étais. Je devais le laisser reprendre sa vie là où il l’avait laissé. Je l’avais déçu et blessé. Il valait mieux pour lui qu’il m’oublie.

Romain ne répondit pas tout de suite, me dévisageant avec une expression insondable. Il devait me prendre pour une folle. Se dire qu’après les quelques coups durs que j’avais encaissé, c’était arrivé ; j’étais bonne à interner.

-          Ok, lâcha t-il enfin.

Puis il ajouta en se dirigeant soudainement vers mes fenêtres :

-          Mais pour ça, il va falloir que tu bouges ton cul.

Il tira les rideaux et la lumière illumina brutalement mon séjour. Je fermai les yeux, éblouie.

-          Ferme ça ! Protestai-je.

-          Non, c’est hors de question. Tu as entendu ce que je t’ai dit ? Reprends toi. Je ne te lâcherai pas.

Je lui lançai un regard noir.

-          Viens dormir à l’appart ce soir, demanda t-il plus doucement.

Je lâchai un petit rire désabusé.

-          Pour que tu m’obliges à aller au boulot demain ?

-          Ouais, il y a de ça. T’as intérêt à te lever demain.

-          Sinon quoi ? Le provoquai-je.

Il me lança un regard d’avertissement.

-          Ne joue pas à ce jeu avec moi. Tu sais que je peux te rendre la vie impossible.

-          Elle l’est déjà. Alors tes menaces à la con, j’en ai vraiment rien à foutre, répliquai-je en me levant pour refermer les rideaux.

Romain m’observa un instant avant de tourner les talons et de claquer violemment la porte derrière lui.

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