Il faisait sombre. Les allumeurs de réverbères venaient de terminer leur ouvrage et rentraient chez eux sous la douce lumière des bougies qu'ils venaient d'allumer.
Les rues étaient désertes. Seules les allées mal famées du Quartier des Fées grouillaient encore de vie à cette heure tardive. Les badauds erraient, battant le pavé de leurs pas mal assurés entre les bordels de la Rue des Merveilles, profondément enivrés par l'alcool qui coulait à flot dans les bars avoisinants. Le lever de lune avait annoncé depuis quelques minutes déjà le début des réjouissances. La dure journée de labeur était terminée et à présent les habitants les plus misérables pouvaient enfin se détendre loin des regards méprisants des gens de la haute société des sorcières.
Dans les beaux quartiers du centre-ville, le calme régnait en maître. Pas un bruit, pas un son ne vint troubler la tranquillité et le silence presque surnaturel qui régnait au cœur de Riverfield. On entendait à peine les cris et la musique suave qui s'élevaient des bas-fonds de la grande ville. Non, tout était parfaitement calme, et les habitants des beaux quartiers dormaient à poings fermés, insouciants du mal qui se glissait dans l'ombre.
Car le danger se trouvait bien là, caché dans les ténèbres de ce coin de rue, à la limite entre le Quartier des Sorcières et la Grand-rue commerçante qui étendait ses boutiques et ses pavés luisants à travers la capitale. Les quelques passants qui osaient braver l'obscurité de la nuit ne le voyait pas, lui et son masque de mort attendant sa prochaine victime. Il n'était qu'un spectre dans le noir, une ombre parmi les ombres que personne ne sut voir.
Le monstre qui se cachait là avait un plan des plus macabres en tête. Ce n'était pas la première fois qu'il allait le mettre en œuvre, mais il lui fallait encore trouver la personne qui allait lui servir de cible. Il ne pouvait pas se permettre de se tromper, sa mission était bien trop grande, trop importante pour l'avenir. Il savait que s'il échouait, tout allait se briser, s'effondrer. Il ne devait pas laisser de trace. Ô tuer était un bien dur métier. Le sang tâchait toujours ses vêtements, fluide écarlate de vie impossible à retirer du tissu imbibé. Et puis il devait faire vite, l'empêcher de crier, de troubler le doux silence qui chatouillait ses oreilles, risquant d'attirer l'attention sur son sordide dessein.
Non, il ne pouvait définitivement pas y penser. L'échec n'était pas une option, seul comptait sa mission, son devoir.
Et le voilà, ce monstre, attendant des heures durant, caché dans les ombres à guetter sa proie, loup solitaire à la soif de sang si forte. Il commençait à s'agiter, passant d'un pied sur l'autre, impatient. Peut-être que cette nuit elle n'apparaîtrait pas. Peut-être que cette nuit allait rester telle qu'elle semblait : calme et douce.
Pourtant il le fallait ! Si cette nuit le sang ne coulait pas, ce serait comme s'il avait lamentablement échoué. Il osait à peine imaginer les conséquences s'il devait rentrer bredouille en cette merveilleuse soirée. Ce serait catastrophique, un vrai désastre. Il serait alors vu comme un traître, un paria. Il aurait échoué.
Et puis soudain, il la trouva.
Elle était enfin apparue.
Sa proie.
Elle était belle, très belle. Et jeune. Exactement ce qu'il recherchait.
Ses longs cheveux couleur de miel étaient noués en une tresse magnifique où s'entremêlaient quelques fleurs des prés ; jolis coquelicots, bleuets et violettes qui embaumaient l'air d'un parfum délicat. Elle avait la peau claire, de grands yeux marron brillant. Et elle souriait, un sourire hypnotisant de douceur alors que ses pensées s'envolaient loin, très loin de là où elle se trouvait.
Elle marchait d'un pas vif, martelant le pavé de ses talons, pressée. La pauvre enfant devait sans doute se dépêcher de rentrer chez elle. Elle devait être en retard. Qui pouvait se douter qu'à une heure pareille une jeune femme se baladerait encore dans les rues de Riverfield ? Ne savait-elle pas que le Mal se cachait toujours dans les ténèbres ?
Ô oui, elle était d'une beauté féerique à nul autre pareil.
Pourtant, celui qui ne faisait pas attention n'aurait jamais su voir ce très léger détail qui dépassait à peine de sa longue cape couleur de nuit. Mais le monstre, devenu excellent chasseur, lui, savait voir ce genre de détail si bien caché. Bien sûr qu'il avait remarqué ces deux ailes diaphanes aux reflets colorés si propres aux fées des bas quartiers. Toujours belles malgré le temps qui passe, la pauvreté et la saleté de leur misérable situation. Toujours si élégantes et délicates malgré les métiers ingrats que leur offrait si gracieusement la Sorciété dans un monde où les humains côtoyaient des êtres magiques puissants.
Oui, cette fille était parfaite. Petite fée perdue dans un monde qui n'était plus le sien, inconsciente du danger qui rôdait tout près.
Alors, doucement, le monstre se glissa hors de sa cachette. Il suivit la fée, discrètement, étudiant avec attention la jeune femme magnifique dans l'obscurité de la nuit.
Ô pauvre créature si naïve et sans échappatoire... Elle ignorait encore qu'elle venait de se jeter tout droit dans la gueule du loup et que le monstre n'allait pas se priver de refermer sur elle, et sans vergogne, sa mâchoire mortelle.
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Amélia Moonfall - Tome 1 : Le Tueur de Fée
Fantasy. Héritière de l'une des plus grandes familles d'Osha, Amélia se doit d'être irréprochable. Bridée par les règles imposées par sa mère et des codes de la haute société à laquelle elle appartient, la jeune sorcière se sent otage de sa propre exi...