Amélia Moonfall - Tome 1 : Le Tueur de Fée

Chapitre 38 : Cambriolage

     Le Quartier des Sorcières n'était pas le plus grand de Riverfield, mais certainement le plus impressionnant. S'y enfoncer rendait Jagger de plus en plus nerveux alors même qu'il savait qu'il ne risquait pas de croiser grand monde. La plupart des habitants devait se trouver au manoir Moonfall à profiter de la fête. Pourtant, le silence qui régnait dans les rues ne parvenait pas à le tranquilliser. Chacun de ses pas sonnait comme un coup de tonnerre. Quant à son cœur, il battait si fort à ses oreilles qu'il entendait à peine la clameur lointaine du manoir Moonfall.

     Jagger avait l'impression de se retrouver des jours plus tôt lorsqu'il avait pris sur lui pour traverser le Quartier des Sorcières pour retrouver Amélia. Sauf que ce soir, alors qu'il progressait dans les ombres le plus discrètement possible, ça n'était pas pour rejoindre sa sorcière mais bien pour commettre un crime. Ce qu'elle ne me fait pas faire, grommelait-il fébrilement en regardant autour de lui sur le qui-vive.

     Voir toutes ces maisons immenses et ces grands jardins défiler lui donnait la nausée. Comment pouvait-on faire étalage de tant de luxe sans honte alors qu'à l'exact opposé de la capitale, des milliers de gens se mourraient de faim et de froid ? Ça le dépassait.

     Le jeune homme se demandait d'ailleurs ce que pouvait bien faire Amélia à cet instant. S'ennuyait-elle autant qu'elle l'avait prétendu ou s'amusait-elle à passer de bras en bras dans une valse étourdissante ? Cette perspective lui hérissait le poil, bien qu'il n'admette sans doute jamais la véritable raison d'une telle réaction, se persuadant qu'elle lui avait confié le plus dangereux du travail alors qu'elle devait batifoler avec il ne savait trop quel crétin de sorcier.

     Jagger se serrait donner des claques. Il se secoua et poursuivit son chemin. Ça n'était certainement pas le moment de penser à cela !

     C'était la première fois qu'il allait aussi loin dans le Quartier des Sorcières. En général, il préférait s'en tenir à distance, cela valait mieux pour tout le monde. Et même lors de ses missions d'allumeur de réverbère, jamais l'homme-fée ne s'occupait du luxueux Quartier des Sorcières. De toute façon, ces dernières se méfiaient tant des fées qu'elles n'auraient jamais permis que l'une d'elles rode autour de leur précieuse et grande habitation. Qui savait qui pouvait bien se cacher sous les capuchons de ces pouilleux à qui on demandait d'illuminer la ville à la nuit tombée ?

     Jagger repoussa bien loin toutes ces réflexions. Inutile de s'angoisser davantage, la tâche qui l'attendait le rendait déjà suffisamment nerveux comme ça !

     En regardant autour de lui, Jagger réalisa bientôt que les grandes maisons mitoyennes commençaient à laisser place à des manoirs plus rustiques et écartés les uns des autres. Jamais il n'aurait cru voir un jour pareil spectacle. Il se serait cru bien loin de la capitale dans un petit village de campagne tant la végétation devenait luxuriante. Les petites cours se changèrent en grands jardins entourés de hauts murs, les buissons d'hortensias et de rhododendrons en lierre grimpants et frênes imposants. Les toits se couvraient progressivement de mousse, les portails et murs de pierres de lichen. Et plus il progressait, plus les habitations s'espaçaient.

     Mais qui donc vivait reclus ici ? La plupart de ces maisons de maitre semblaient inhabitées, presque abandonnées. L'une d'elles avait le toit éventré, les fenêtres obstruées de planches. En y regardant plus attentivement, Jagger remarqua qu'elles étaient dépourvues de verre. Ce dernier jonchait encore le sol au pied du manoir, éclat brillant sous la lune. Dans son jardin au portail à moitié effondré, il aperçut également la silhouette d'un puit très ancien à moitié dévoré par la végétation. Elle semblait à l'abandon depuis des générations. Devant le portail bancal, un modeste panneau de bois indiquait qu'elle était à vendre.