Chapitre 3 : Au fond de l'armoire (2/2)

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     Amélia s'installa devant sa coiffeuse et regarda son amie s'enfoncer toujours plus profondément dans les robes que contenait son armoire. Là aussi, un sort d'agrandissement de l'espace avait été jeté pour lui permettre de ranger le plus de vêtements possible. En outre, l'armoire sombre cachait un véritable dressing dans ses entrailles, un vrai petit bijou créé par les étudiants en ébénisterie magique de l'école de l'Atelier des Artistes de Riverfield. Amélia en était très fière. En plus de pouvoir contenir tous ses vêtements sans manger trop de place dans sa chambre, son armoire avait fini par développer son propre petit caractère et aidait souvent Emily à trouver les meilleures robes pour la sorcière.

     Le regard d'Amélia glissa vers la broche que son amie venait d'abandonner sur la table de la coiffeuse. Composée d'une étoile constellée de paillettes, de perles brillantes, de petites fleurs de verre et de fils de bronze tressés, il s'agissait là d'un vrai petit trésor du patrimoine féerique. Amélia n'avait aucun doute sur sa provenance. Ce bijou venait de la mère d'Emily. Mme Sparkles avait un don pour la création de bijou plus encore que pour celle de vêtement et envoyait souvent de petits présents à sa fille. Une broche par-ci, un collier par-là.

     Amélia avait toujours trouvé l'art féerique magnifique, plus encore parfois que celui des sorcières ou des autres peuples de Riverfield. Ses bijoux étaient toujours trop imposants, trop lourds, trop clinquants et surtout trop chers. Quel mal pouvait-il bien y avoir à aimer la simplicité et la beauté de l'art des fées ? Ça la dépassait.

     Elle déplorait encore plus le fait qu'il leur soit interdit de les vendre sur la Grand-rue. Il s'agissait là d'une très vieille loi. Une loi stupide instaurée du temps où les Lerouge régnaient encore sur Osha, juste après la Séparation, alors que les fées avaient été bannies du royaume par les sorcières pour trahison. Cela s'était passé bien avant la grande révolution menée par les Moonfall, soixante-et-un ans plus tôt. Bien sûr, sa famille avait fait le nécessaire pour permettre aux fées de redevenir des citoyennes à part entière. Mais le mal était fait. L'image des fées avaient été souillées et bien vite elles n'eurent plus aucun privilège, contraintes de vivre dans les bas-fonds de la Sorciété qui régnait sur le monde depuis presque deux millénaires. Très vite – trop vite – elles étaient devenues des pestiférées, les horribles créatures traîtresses qui avaient semés le trouble dans les esprits. Amélia était persuadée que la plupart des personnes qui haïssaient le peuple féerique aujourd'hui n'en connaissait même pas la raison. Et cela contribuait à la désoler plus encore.

     Amélia aurait adoré pouvoir porter pareils bijoux sans être fusillée du regard par sa mère. Elle imaginait sans mal ses remarques venimeuses et blessantes, blâmant son mauvais goût et se lamentant de l'image que pouvait renvoyer sa fille aux autres membres de la Cour des Sorcières.

     Pourtant, la jeune fille était persuadée que si les fées avaient la possibilité de mettre leur travail sur le marché elles pourraient mieux s'en sortir.

     L'image de la petite vendeuse de fleur lui revint à l'esprit. Si les fées avaient eu le droit de vendre leurs créations dans la Grand-rue, cette petite aurait-elle pu aller à l'école comme les autres enfants de son âge ? Aurait-elle pu éviter de devoir vendre des fleurs dans la rue et manquer de se faire piétiner par des sorcières bourges et racistes ? Quelle serait la réaction de ses parents si Amélia venait à lancer cette idée ? Sa tante Nausicaa la soutiendrait-elle ? Peut-être. Il allait falloir qu'elle lui en parle.

     Il allait vraiment falloir qu'elle lui parle tout court.

     Emily émergea enfin de l'armoire ensorcelée, une robe à la main. La fée secoua la tête avant d'éternuer avec force. Elle était couverte de paillette d'or et d'argent du sommet de la tête jusqu'aux épaules.

Amélia Moonfall - Tome 1 : Le Tueur de FéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant