Chapitre 44 : Plongée en eau trouble (1/2)

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     – Amélia ne fait pas ça !

     La jeune fille se figea. Pendant un instant, elle crut avoir rêvé. Cette voix ne pouvait pas être là, il ne pouvait pas l'avoir retrouvé, pas aussi vite, pas après ce qu'il venait de se passer. Amélia serra les lèvres, la gorge nouée par les sanglots qu'elle retenait. Elle n'osait pas se retourner. Elle était tellement épuisée et désespérée, ça n'aurait pas été si étrange qu'elle s'imagine cette voix. Elle l'était même assez pour se tourner vers les pires créatures que la terre n'ait jamais portées, alors entendre des voix... Et en même temps, un sinistre mélange d'espoir et d'angoisse lui broyait le cœur à l'idée que ce fut réel, qu'il soit vraiment là.

     Lorsqu'elle entendit des bruits de pas se précipiter dans sa direction, la sorcière pensa d'abord à un garde, peut-être un pêcheur ou n'importe qui d'autre se précipitant vers la silhouette détrempée d'un pauvre gamin des rues qu'il s'imaginait peut-être assez désespéré et fatigué de sa vie misérable pour se jeter dans la Gelée. Pourtant, ce souffle saccadé qui lui parvenait, ce frôlement d'aile si caractéristique aux fées... Elle en eut les larmes aux yeux.

     – Ça n'est pas réel, se répétait-elle les dents serrées, ça ne peut pas l'être, ça ne peut pas...

     Une lourde main s'abattit sur son épaule et la força à se retourner. Amélia n'eut pas même besoin de relever la tête pour reconnaître les guenilles de Jagger ni ses grandes ailes de morpho qu'elle voyait dépasser de sa cape élimée. Le garçon la saisit plus fermement par les épaules, cherchant désespérément son regard sans qu'elle n'ait le courage de croiser le sien.

     – Qu'est-ce que tu fais là Jagger, coassa-t-elle la gorge nouée.

     Elle ne pouvait se résoudre à détacher les yeux de ses chaussures. La semelle de ses bottes était fichue. À l'intérieur, ses pieds étaient gelés pas la pluie.

     – Je suis venu t'empêcher de faire une grosse bêtise.

     Elle fronça les sourcils.

     – Comment as-tu su où me trouver ? demanda-t-elle en relevant enfin les yeux sur lui.

     Il y eut un long silence durant lequel elle eut tout le loisir de le détailler. Ce qu'elle découvrit lui serra le cœur. Jagger arborait une mine épouvantable, savant mélange de détresse, de fatigue et d'une bonne dose de honte. Cette fois, c'est lui qui détourna les yeux.

     – Anita... bredouilla-t-il du bout des lèvres.

     Amélia eut un sourire amer. Évidemment, soupira-t-elle intérieurement, incapable de desserrer les lèvres. Il était donc retourné chez les Norwood. Tout seul. La sorcière n'osait pas imaginer le courage qu'il avait dû rassembler pour passer devant les chiens d'Anita. Il devait vraiment être désespéré. Amélia n'en ressentit aucune satisfaction.

     Avait-il demandé à user du cristal pour la retrouver ? Leur avait-il dit ce qu'il s'était passé ? Quel avait été sa réaction en la voyant debout au milieu du port, en sentant sa sinistre détermination ? Elle l'imaginait sans mal avoir vu ce qui remontait la Gelée dans sa direction, les monstres qu'elle s'apprêtait à rencontrer. Elle avait senti leur présence dès son arrivée, il était certain qu'il avait dû les voir lui aussi autrement, comment aurait-il su ? En avait-il fait part à Anita ? Non, il avait sûrement dû s'envoler dès qu'il avait appris où elle se trouvait.

     Le silence qui suivit lui sembla encore plus long que le précédent, plein de cette gêne toute nouvelle dont ils ne parvenaient pas à se défaire depuis leur dispute. Amélia ne comprenait toujours pas pourquoi il ne lui avait rien dit, pourquoi il lui avait caché son lien de parenté avec Emily. Et qu'aurait-elle pensé en l'apprenant ? Craignait-il réellement qu'elle refuse de continuer à collaborer parce qu'il était son frère ? Il était pourtant plus malin que cela. Amélia ne pensait pas que cela l'aurait gêné, elle ne l'aurait pas repoussé ni ne l'aurait abandonné, au contraire. Si elle avait su... si elle avait su elle aurait redoublé de prudence et de délicatesse, elle n'aurait pas cherché à en savoir autant, elle n'aurait pas remué le couteau dans la plaie comme elle avait pu le faire inconsciemment.

Amélia Moonfall - Tome 1 : Le Tueur de FéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant