Chapitre 5 : Manquement

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L'air frais me fouette le visage lorsque je me retrouve enfin dehors. J'aurais mieux fait de décliner l'invitation, c'était vraiment débile de penser que je pourrais m'y amuser. Le seul point positif à cette soirée, c'est Jared. Aussi étrange que cela puisse paraître, discuter avec lui est de loin la meilleure chose qui me soit arrivée depuis le début des vacances. Je souris bêtement en y repensant. Aucun mot n'est en mesure de décrire la multitude de sensations qui se bousculent à l'intérieur de mon corps. Jusque-là, personne n'avait provoqué une telle agitation en moi. Il n'y a rien de plus déstabilisant.

   Au lieu de rentrer directement chez Tante Kristen, je fais un détour par la plage pour m'aérer l'esprit, et surtout pour retrouver le contrôle de mes émotions. Je ne sais pas combien de temps je reste assise sur le sable froid, les jambes croisées, le regard perdu au loin mais, soudain, une voix sortie de nulle part réduit en miettes le silence :

–      Te voilà donc ! Je savais bien que je te trouverais ici !

   Mon sang se glace. Qu'est-ce qu'il fiche ici ? Je ne vois qu'une explication logique : il a dû me voir partir, et il m'a suivi.

   La silhouette de Jesse se rapproche doucement. Il se laisse tomber à côté de moi dans un bruit sourd. Il halète, son haleine empeste l'alcool et le vomi. Mon instant de tranquillité vient de tomber à la mer, c'est le cas de le dire.

–      Excuse-moi de t'avoir parlé comme je l'ai fait, tout à l'heure. J'étais complètement à l'ouest, s'excuse-t-il.

   Tu l'es toujours.

–      C'est pas grave, je mens.

   Un instant, j'envisage de lui sortir une excuse peu convaincante pour pouvoir rentrer. La situation est beaucoup trop pesante pour être allongée.

–      Je sais qu'au fond tu m'aimes.

   Mon estomac se soulève.

–      Tu refuses juste de l'avouer, mais moi je le sais, poursuit Jesse, la voix toujours aussi pâteuse.

–      Jesse, il ne se passera rien entre nous, dis-je avec fermeté.

D'un mouvement leste, je me lève, décidée à partir avant que les choses ne dérapent, mais sa main se referme sur mon bras et ne semble pas vouloir me lâcher.

–      Ma tante m'attend. Je... je ferais mieux d'y aller, je bafouille.

   Le regard de Jesse s'assombrit. Une fois encore, je tressaille.

–      Menteuse. Ta tante ne t'attend jamais.

  Mon pouls s'accélère. Il ne me semble plus autant bourré qu'il y a cinq minutes. Je tente de me libérer de son emprise mais il est plus fort que moi.

–      Lâche-moi, Jesse ! Tu me fais mal au bras !

–      Mais arrête de crier, putain ! beugle-t-il. Fais pas ta p'tite fille prude ! Au fond t'es qu'une salope !

   Ses mots me heurtent de plein fouet, si violents. Je m'efforce de réfléchir, et vite. Je me dévisse le cou et constate avec horreur que le centre-ville est à l'opposé de nous, si loin. Et personne dans les environs. Appeler à l'aider ne servirait à rien.... La panique s'empare progressivement de moi.

   Jesse est plus rapide que je ne l'aurais cru. En une fraction de seconde, il est sur moi.

–      Reste tranquille. Je ne te ferai pas de mal, me susurre-t-il à l'oreille.

   Je lis d'horribles pensées dans son esprit. Il me plaque contre le sable devenu froid. J'essaie de le repousser, tant bien que mal, ce qui ne fait qu'accroître sa colère. Ses mains s'écrasent sur mes seins dans un mouvement brusque, pressé, m'arrachant un cri de douleur. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai peur. Réellement peur. Je me tortille, donne des coups de pieds, et parviens à rouler sur le côté. Malheureusement, il me saisit la gorge et m'écrase de nouveau par terre. J'ai le visage enfoncé dans le sable. Des grains remplissent ma bouche et mes narines. Je n'arrive plus à respirer.

   Ma robe est remontée sur mes hanches. Je sens ses doigts s'infiltrer dans ma culotte. Il tire dessus, puis la baisse jusqu'à mes genoux. La sensation de mon corps mis à nu me terrasse. Je ne m'appartiens plus.

   Mes yeux se ferment, horrifiés par ce qui est en train de se dérouler sans mon consentement. J'ai envie de crier, de hurler à pleins poumons, mais aucun son ne sort de ma gorge. Je suis paralysée, tétanisée. Je ne montre plus aucun signe de lutte. Je n'en ai plus la force physique.

–      Hé ! Hé ! lance tout à coup une voix furibonde.

   Jesse retire aussitôt ses mains de mon corps meurtri et se relève.

–      Qu'est-ce que tu lui fais ?!

   Je reconnais la voix grave et à la fois posée de Jared, mais je n'ose toujours pas bouger.

–      C'est pas tes affaires, mec, grogne Jesse.

   La silhouette de Jared s'avance à grands pas vers nous. Il pousse violemment Jesse et se précipite sur moi. Je vois à son visage qu'il est inquiet mais aussi très en colère.

–      Abby, tu vas bien ?

   Non, ça ne va pas.

   Je refuse de me mettre à pleurer alors, pour m'en empêcher, je me mords la lèvre jusqu'au sang.

–      Espèce de... t'es qu'un sale pervers !

   Jared a les poings serrés, prêt à cogner. Il est noir de rage. Rien à voir avec le Jared d'il y a une heure à peine.

–      Dégage, ordonne-t-il. Dégage avant que je te casse la gueule.

   Jesse ne met pas longtemps à disparaître de la plage. Malgré cela, je me sens toujours aussi sale, abusée. Et par-dessus tout, j'ai honte. Honte que Jared ait assisté à ça.

–      Est-ce qu'il... il t'a touché ? demande-t-il hésitant, la bouche crispée.

   Je suis incapable de parler. À l'intérieur, je suffoque, comme si j'étais en train de me noyer. L'air me manque, me donnant l'impression que mes poumons ont automatiquement cessé de fonctionner.

–      J'aurais dû lui mettre une raclée à cet enfoiré, siffle Jared, la mâchoire serrée.

   Sa fureur rentrée est palpable. Je secoue lentement la tête. La violence n'aurait rien arrangé.

–      Il faut prévenir les flics, poursuit-il, furibond.

–      Non ! m'écris-je.

–      Pourquoi « non » ?

  À mon insu, mes larmes débordent. Je me détourne rapidement, mais Jared attraper mon visage entre ses doigts et me caresse la joue, effaçant mes pleurs. Son contact me laisse une impression de brûlure sur la peau. C'est la première fois qu'il me touche et je ne veux pas qu'il s'arrête. Je me laisse aller à son geste tendre. Comme tout être normalement constitué, je devrais être en train de prévenir ma tante, la police, mes parents... Mais je ne fais rien de tout cela. Mon cerveau doit sûrement souffrir d'une défaillance. De façon stupéfiante, ma peur s'évapore par la seule présence de Jared.

   Avec lui, je me sens en sécurité.

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