Chapitre 53 : Le grand saut

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Assise en cours de littérature, cela fait bien une heure que je n'ai pas écouté un seul mot de ce que raconte M. Williams. À la place, je dessine - gribouille serait plus juste - distraitement sur une vieille feuille blanche à moitié froissée trouvée au fond de mon sac.

Depuis les événements qui sont survenus au café, je me sens tourmentée, affligée. Tout au long de la semaine, je n'ai pas pu m'empêcher d'y repenser. De les imaginer, lui et elle. Et, chaque fois, des crampes me tordent l'estomac.

À la fin du cours, Jared m'attend appuyé contre un mur, l'air chaleureux et gracieux. Il me donne toujours autant l'impression de vouloir se rattraper. Dès qu'il en a l'occasion, et que son emploi du temps le lui permet, il ne me lâche pas d'une semelle. Au fond, ça ne me déplaît pas. Ça me rassure, plutôt.

Son regard devient froid lorsqu'il se pose sur Aiden, qui apparaît à ma suite. Je me dépêche de dire au revoir à ce dernier, le contourne, et me dirige vers Jared.

- Tu pourrais essayer d'être un peu plus... agréable.

Il s'écarte du mur.

- Désolé. C'est au-dessus de mes forces.

Je n'insiste pas, sachant que c'est peine perdue, bien que son comportement à l'égard d'Aiden me titille sérieusement.

Je le talonne jusqu'à la cafète. On se met dans la file d'attente pour nous acheter un petit en-cas. Tandis que je procède à un examen approfondi des pommes sur le présentoir, Jared s'arrête en plein milieu de la queue - déclenchant les plaintes d'étudiants derrière nous. Je me retourne et le toise avec étonnement.

- Jared ?

Il reste mutique. À quoi pense-t-il ?

- Il y a un problème ? je m'inquiète.

- Non, répond-t-il laconiquement.

Ensuite, il sort quelques pièces de sa poche pour payer ma pomme verte puis déniche une table libre derrière celle d'un groupe de filles qui rit et chahute bruyamment.

Entre temps, Maia se joint à nous et s'installe face à moi. J'observe avec stupéfaction le contenu de son plateau : un donut recouvert de glaçage au chocolat, et plusieurs morceaux de sucres qu'elle plonge directement dans son café. Elle le sirote du bout des lèvres avant d'en rajouter deux supplémentaires dans sa tasse.

- J'ai une fringale de sucre en ce moment, se confie-t-elle en mordant à pleines dents dans son donut.

Je soupçonne sa rupture d'en être la cause, mais je ne fais aucun commentaire, Jared non plus. Peut-être que le sucre a des vertus particulières, au point de l'aider à surmonter cette période sombre.

- Retrouve-moi devant la résidence quand tu auras fini, déclare subito Jared après de longues minutes de silence complet.

Je pose ma pomme pour éviter de parler la bouche pleine.

- Pour quoi faire ?

Il affiche un grand sourire énigmatique.

- Tu verras bien.

Il se lève de table et m'embrasse sur la bouche. Puis il s'en va. Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits.

- J'en déduis que c'est officiel, cette fois ? s'exclame Maia, autant surprise que moi par ce qu'il vient de se dérouler en public.

Je hoche timidement la tête, non sans une certaine dose d'incertitude. En tout cas, j'ai envie d'y croire. Même si aucun de nous deux n'a mis d'étiquette sur notre relation. C'est encore trop tôt pour le faire, surtout après les derniers événements qui ont eu lieu.

Le ciel est menaçant, comme si la pluie était sur le point de s'abattre, lorsque je sors rejoindre Jared. En voyant sa Chevy garée juste devant les marches de la résidence, je ferme les yeux et prends une profonde inspiration, me préparant à toutes les éventualités. Dieu seul sait ce qu'il a en tête.

- Ah ! Te voilà, lance Jared de l'intérieur de sa voiture. Tu es prête ?

Son air malicieux ne me dit rien qui vaille.

- Prête pour quoi ?

Il marque une pause puis répond d'une seule voix :

- Je t'emmène chez mes parents.

Je lève les yeux sur lui, tétanisée, raide comme un piquet. Ai-je bien entendu ?

- Hein ? Mais... je...

- Tu ne veux pas les rencontrer ?

- Si, si ! C'est seulement que... enfin... ce n'est pas un peu tôt ? je murmure avec un petit rire nerveux.

- On ne se marie pas, que je sache, réplique-t-il vivement. Te présenter à eux est une manière de te prouver à quel point tu es importante à mes yeux. Et puis, ils n'arrêtent pas de me tanner pour te rencontrer.

Je frémis.

- Attends... tu... tu leur as parlé de moi ?

- Ben... ça se pourrait que j'aie prononcé ton nom, une ou deux fois, au cours d'un repas, avoue-t-il.

C'est pas vrai ! Je baisse les yeux sur ma tenue. Je porte un jean noir moulant et un vieux pull gris. Rien de très élégant.

- De quoi j'ai l'air ?

Il me regarde des pieds à la tête et grimace.

- Ça pourrait être mieux.

- Merci pour ta franchise. Je me sens beaucoup plus détendue, maintenant.

- Arrête ton char ! s'amuse-t-il. Tu es très belle, comme d'habitude.

Je le fixe, rougissante.

- Quoi ?

- Rien, rien, dis-je d'une petite voix.

- Je sais que tu détestes être complimentée, mais accepte celui-ci. Bon, assez parlé, ramène tes fesses !

Je fais le tour de la voiture, ouvre la portière et prends place tout en me rappelant de respirer. Jared m'étonnera toujours.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant