Chapitre 49 : Trop honnête

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Il n'y a rien de pire que de mettre fin à la bonne humeur d'une personne qui compte pour nous. En particulier lorsque sa joie est alimentée par le problème en question.

J'ai essayé - à maintes reprises - d'engager la discussion avec Maia pour lui ouvrir les yeux sur Dylan. Mais, à chaque fois, le même scénario revient en boucle : je finis par me raviser en prétextant que ce n'est pas le bon moment. Je n'aurais jamais pensé que ma découverte de la nuit dernière serait aussi délicate à avouer. Parfois, mieux vaut une vérité blessante plutôt qu'un mensonge réconfortant.

À l'heure du midi, je me débrouille pour retrouver Maia à la cafétéria. Comme à son habitude, celle-ci se met à me parler d'une rumeur qui court - cette fois-ci - sur son professeur d'anglais. Apparemment, il aurait une aventure avec une de ses étudiantes. Je lui prête une oreille attentive sans pour autant perdre de vue mon véritable objectif. J'inspire un bon coup.

Allez, lance-toi !

- Tu sais, Maia, je...

Bordel.

Je m'interromps promptement quand Dylan en personne, sortit de nulle part, s'incruste sur la chaise libre à côté de Maia. Il a un gros pansement collé sur l'arête du nez et des contusions virant au violacé sous les yeux ; il n'est pas beau à voir. Curieusement, j'espère qu'il souffre.

- Bonjour, bébé, roucoule-t-il gaiement.

Intérieurement, je grimace de dégoût.

- Oh, mon Dieu ! s'écrie Maia, choquée, une main plaquée devant la bouche. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé au visage ?

- Juste un accrochage, rien de grave, explique-t-il sans entrer dans les détails.

Son regard glisse sur moi, et il fait comme si de rien n'était. Comme si je ne l'avais pas surpris avec cette pimbêche. Je me retiens de lui jeter mon verre d'eau à la tête.

- Tu voulais me dire quelque chose, Abby ? s'enquiert Maia en me redonnant toute son attention.

C'est le moment où je suis censée acquiescer et cracher le morceau que je peine à faire sortir depuis ce matin. Au lieu de quoi, je mens avec brio.

- Oh, heu... j'ai oublié.

- Sacré, Abby ! plaisante Dylan avec un éclat de rire. Tu as la mémoire drôlement courte.

Il se montre extrêmement confiant pour quelqu'un qui devrait se sentir, au contraire, inquiet. Je redouble de haine mais ne riposte pas.

- Je vous laisse, dis-je à voix basse, au bout de cinq minutes passées à faire mine de m'intéresser à leur conversation. À plus tard, Maia.

Cette dernière m'adresse un signe affirmatif puis retourne à sa discussion avec Dylan.

Je peste et marmonne des injures dans ma barbe pendant que je fais la queue pour déposer mon plateau - je ne l'ai quasiment pas touché. Comment ai-je pu céder devant ce crétin à la noix ! Il aurait mérité que je hurle la vérité.

- Houlà ! On dirait que quelqu'un est de mauvaise humeur, me souffle-t-on à l'oreille.

Je jette un regard à Jared par-dessus mon épaule avant de suivre la foule qui quitte la cafète. Ses grandes jambes me barrent la route.

- Laisse-moi deviner. Tu as croisé Dylan ?

- Bien joué.

- Et j'en déduis que tu n'as encore rien dit à Maia ? ajoute-t-il.

- J'y travaille, je marmonne en grinçant des dents, ce qui le fait rire.

Je n'ai qu'une envie - m'asseoir dans un coin et bouder les bras croisés.

- Je vois, répond-t-il en hochant la tête. Tiens-moi au courant de ton avancée. S'il y en a une.

Il tire légèrement sur ma queue de cheval et repart, un sourire ambigu aux lèvres.

***

Lorsque la journée s'achève, c'est sans empressement que je gagne la résidence. Je m'arrête d'abord prendre un café puis remonte le couloir à reculons, en traînant des pieds. Tout est bon pour ralentir ma progression. Je n'ai pas envie de rentrer, mais je dois le faire. Ça en vaut la peine - j'espère.

Maia a la tête fourrée dans l'armoire entre sa pile de vêtements quand j'entre dans notre chambre. Je comprends sur-le-champ qu'elle prévoit de passer la nuit ailleurs qu'ici. Pas franchement ce que j'espérais, compte tenu de la situation.

- Quelle journée, je lance d'une voix plaintive avant de m'affaler sur mon lit. Je suis exténuée.

- La prochaine fois, tu réfléchiras à deux fois avant d'aller faire la fête en pleine semaine, répond-t-elle en riant.

Allongée, les deux bras repliés sous la nuque, je déclare :

- À ce propos... Je dois te parler d'un truc.

- Je sais exactement ce que tu vas me dire. Et ce n'est pas ce que tu crois.

Je me redresse d'un bond, si bien que la tête me tourne.

- Comment ça ?

- Dylan m'a tout avoué, dit-elle calmement.

Hein ? Cet imbécile a réussi à me devancer ?

- Alors, tu es au courant qu'il t'a... trompée ?

Maia se tourne vers moi, les yeux écarquillés, et éclate de rire.

- Trompée ? Tu dramatises un peu trop, là. D'accord, il a dû embrasser une fille à cause d'un stupide pari. Mais ça n'a pas été plus loin. Donc pas de quoi en faire tout un plat.

Quel beau menteur !

- Ça, c'est ce qu'il veut te faire croire. Mais j'étais là, je l'ai vu. C'était plus qu'un simple baiser, et il n'avait pas l'air d'y avoir été forcé.

Elle hausse nonchalamment les épaules, comme si ça lui était égal. Pourtant, je ne peux pas croire une telle chose.

- Ne me dis pas que tu vas avaler ces mensonges ? Il se moque de toi, Maia ! Pourquoi tu refuses de l'admettre ?

Elle me lance le regard le plus noir qui soit.

- J'y crois pas... En fait, tu es jalouse au point de vouloir détruire mon couple ?

- Jalouse ? Mais enfin de quoi tu parles ?

- C'est évident ! Tu en pinces pour Jared, mais il continue de s'amuser avec toi en te faisant espérer quelque chose qui n'arrivera jamais. Tandis que moi, j'ai un copain qui m'aime et qui me respecte.

Je secoue la tête, les yeux ronds, abasourdie par le discours qu'elle tient.

- Comment peux-tu penser un truc pareil ? Jared n'a rien à voir là-dedans. Je m'inquiète pour toi, c'est différent.

- Mais bien sûr... C'est moi la cinglée, maintenant ?

Sa réaction me dépasse, totalement. J'ai l'impression d'avoir quelqu'un d'autre en face de moi. Quelqu'un qui n'est pas la Maia que je connais. C'est malheureux à dire, mais, tant qu'elle restera aveuglée par ses sentiments, je ne pourrai rien faire.

- Tu délires complètement, je souffle, à court d'arguments. Je ne sais pas ce que Dylan t'a raconté mais, visiblement, son coup a réussi.

Elle pince les lèvres et, pendant un instant, j'imagine qu'elle va se mettre à pleurer.

- C'est pas la peine de m'attendre, ce soir.

Lentement, Maia attrape son sac puis claque la porte derrière elle en sortant.

Un point pour Dylan.

Zéro pour Abby.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant