Chapitre 28 : Perdre la tête

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Je colle ma joue contre le mur froid et m'affale sur le bitume, les bras autour des genoux. Me voici plantée là, par terre, avec des gravillons qui s'enfoncent dans la chair de mes fesses. Une brise d'air frais apaise le haut-le-cœur qui me tord l'estomac, mais pas les démons qui me torturent avec acharnement, sans aucune pitié.

Tu es faible.

Trop faible pour faire face à la réalité poignante. Je suis perdue. Je m'efforce d'agir normalement mais, au fond, je suis incapable de me départir de l'intensité émotionnelle et physique provoquée par Jared. C'est mal, je le sais. Nous sommes tellement différents et, rien que pour ça, je devrais me tenir loin de lui. Mais j'ai bien peur d'être tombée dans un piège et de ne pas pouvoir m'en sortir entière.

Il est inutile de continuer à me bercer d'illusions et de mensonges qui ne font que m'enfoncer davantage. Tout ça n'est qu'un ramassis de conneries. Nous ne serons jamais amis, c'est évident - pour ma part. Tout simplement car je ne suis pas en mesure de me débarrasser du souvenir de nos embrassades et de cette pression que je sens, là, sur mon cœur.

Mon Dieu, quel bordel.

Reprenant doucement possession de mon calme, je prends appui sur le mur pour me mettre debout. Maintenant, que suis-je censée faire ? Retourner à l'intérieur avec le risque de tomber à nouveau sur Jared ? Il me semble plus raisonnable de rester ici. D'autant plus que le tapage qui règne dans la maison ne me donne aucunement envie d'y ré-entrer. Maia doit certainement me chercher, peut-être même s'inquiète-t-elle de ne plus me voir mais, sur le moment, je m'en contrefous. La seule chose qui m'importe c'est de m'enfuir de cet endroit.

- Allez quoi, mec, t'attends quoi ? Tu vas finir par te faire doubler !

Un attroupement de mecs devant la maison - adjacent au mur où je suis dissimulée depuis un petit bout de temps - attire soudain mon attention. Ils ricanent fort et bêtement.

- Vous faîtes vraiment chier !

Je reconnais la voix d'Aiden. Toutefois, je me garde de bouger. Depuis qu'il nous a découvert - Jared et moi - sur le banc, il se montre particulièrement froid et boudeur. Je m'immobilise tandis que j'entends leurs pas se rapprocher. Pour ne pas risquer d'être découverte, je me tapis dans l'obscurité en priant pour que la bande prenne la direction opposée. Fort heureusement, quelqu'un les hèle. En voyant qu'ils s'éloignent de ma cachette, je relâche le souffle que je me forçais à retenir. C'était moins une !

Soulagée, je me mets donc à réfléchir à quoi faire. Je n'ai pas la moindre idée de l'heure qu'il est et la perspective de passer la nuit dans ce coin à attendre de voir Maia ou Dylan débarquer ne me réjouit pas. À contrecœur, je me traîne à l'écart du mur, sans savoir concrètement où je vais ni ce que je cherche. Je traverse la pelouse en faisant attention à ne pas me recevoir un verre sur les vêtements ou une autre substance suspecte. J'ai le malheur de constater que la maison ne désemplit pas, au contraire j'ai l'impression qu'elle se remplit au fur et à mesure des minutes. De pire en pire. Étant la seule personne sobre, au milieu de cette cohue déchirée, je me dis que j'ai touché le fond.

Tout à coup, je sens une main se poser sur mon épaule. Je pivote sur moi-même et me retrouve nez-à-nez avec Aiden - sans les types avec qui il traînait.

- Salut, Abby. Tu... tu es venue seule ? bredouille-t-il en se frottant la nuque.

- Euh, non, avec des amis.

Il jette des coups d'œil autour de nous, puis m'examine avec un air remplit de curiosité.

- Alors, tu t'es finalement décidée à venir à une fête de fraternité ?

- On dirait bien, oui, j'admets avec une grimace. Mais en y réfléchissant, j'aurais mieux fait de rester sagement dans ma chambre. Tout ça... ce n'est pas moi.

C'est la première fois que je lui réponds sincèrement. Peut-être parce que j'en ai assez de faire semblant.

- C'est vrai que l'ambiance est assez spéciale, dit-il en désignant du menton un groupe qui filme une fille en train de vomir ses tripes.

- Ça, tu l'as dit !

Il rigole, complice. Et, tout juste quand je commence à me sentir un peu mieux, on me bouscule et je sens un liquide froid couler le long de ma poitrine.

- Merde ! beugle un type soûl en louchant sur son gobelet rouge vide avant de disparaître dans la foule en délire.

Je suffoque sous le coup de la surprise puis jure en voyant l'état de mon haut. Voilà, il fallait bien que ça m'arrive. Le tissu trempé me colle à la peau et me donne une impression de froid.

- Quel con celui-là ! rugit Aiden, l'air remonté. Ça va ?

Non, vraiment, rien ne va plus.

- J'aimerais rentrer.

- Tu veux que je te ramène à la résidence ? propose-t-il. Ma voiture est garée pas très loin d'ici.

- Ça ne te dérange pas ?

Il secoue la tête.

- Non. Tout ce que tu as à faire, c'est dire oui.

Je le dévisage, soulagée de savoir que je vais pouvoir rentrer. Il est beaucoup trop gentil.

- Oui, s'il te plaît.

Une moue ravie étire sa bouche, faisant apparaître ses fossettes que je trouve toujours autant adorables. Puis, il m'attrape la main et me guide jusqu'à sa voiture. Je me faufile sur le siège passager et pose ma tête sur le dossier, vidée. Il va vraiment falloir que j'investisse dans une voiture - n'importe quel modèle fera l'affaire. Quitte à me trouver un job pour me la payer, car je doute fortement que mon père accepte de m'en offrir une avant que j'atteigne la majorité.

Sur le trajet, Aiden se montre silencieux et je l'en remercie. Bien qu'il m'ait permis d'écourter cette désastreuse soirée, je ne trouve rien à dire.

En arrivant, je soupire de soulagement puis prends une profonde inspiration.

- Merci de m'avoir raccompagnée, Aiden.

Celui-ci m'offre un grand sourire que je ne peux m'empêcher de lui rendre. J'ouvre la portière et m'extirpe de la voiture.

- Abby ?

Je me retourne. Il a baissé la vitre de sa voiture pour y passer sa tête.

- Je voulais juste te dire que... je m'excuse d'avoir été aussi con ces dernières semaines. C'était injuste de ma part.

À la lumière du plafonnier, je distingue des rougeurs naissantes sur ses joues. Je me mords la bouche.

- Ce n'est rien, je t'assure. Bonne nuit.

Il ne démarre que lorsque je rentre à l'intérieur du bâtiment, comme s'il s'attendait à ce que je me retourne. Je monte les étages à toute vitesse, impatiente de retirer ces vêtements poisseux qui me collent à la peau. Mécaniquement, je sors mes clés, ouvre la porte, allume la lumière et m'affale sur mon lit.

À ce moment-là, des coups autoritaires retentissent à la porte, me faisant sursauter. Je me dis que Maia a dû oublier sa clef, même s'il me semble curieux qu'elle ait décidé de rentrer aussi tôt. Malgré tout, je bondis pour ouvrir la porte, et ce que je vois a le don de déclencher des palpitations dans ma poitrine.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant