Chapitre 48 : Dans la peau

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Nous restons un petit moment devant le portail, pas loin du pick-up, histoire de faire retomber l'agitation. Pour ma part, je suis plus sonnée qu'excédée. Dylan cachait bien son jeu, à tel point qu'il nous a tous berné. Maia la première.

- Fait chier ! Je n'aurais jamais dû te laisser venir ! s'énerve Jared en secouant la tête et en donnant un coup de pied dans le vide.

- Au contraire, tu as bien fait, je rétorque. Maintenant, je sais que Dylan est une ordure et qu'il se fiche éperdument de Maia.

Il passe une main sur son visage, recommence à secouer la tête mais en détournant les yeux cette fois. Je l'observe attentivement. Il a l'air... embêté ? Ce qui équivaut, selon moi, à un comportement un peu trop suspect.

- Attends deux secondes. (Je réfléchis quelques instants). Tu... tu étais au courant ? je murmure dans un souffle.

Il n'ouvre pas la bouche. Je prends donc son silence pour un accord.

- Tu savais, c'est ça ?

Ses yeux m'indiquent clairement que oui.

- Tu le savais, et tu n'as rien dit ! Bon Dieu... tu me dégoûtes autant que lui.

- OK, je suis un connard de n'avoir rien dit, mais il me semble que ça ne regarde qu'eux, se défend-t-il la mâchoire tendue. Je ne me mêle pas des affaires des autres. Et tu devrais en faire autant.

Je hausse les sourcils, furibonde. Il est hors de question que je me taise ou que je reste en dehors de cette histoire. Dylan n'en serait que plus satisfait.

- Tu plaisantes, là ? Ou tu penses vraiment ce que tu dis ? Il s'agit de mon amie ! Si tu n'es pas capable de comprendre ça, alors tu ne vaux pas mieux que cette ordure.

Jared se pince l'arête du nez, puis expire lentement.

- Je n'ai pas envie de me disputer avec toi, Abby. Surtout pour des histoires qui ne nous concernent même pas.

- Ça, tu aurais dû y songer plus tôt.

Agacée, je commence à traverser la route - sans savoir où je vais -, mais Jared me retient par la manche de mon pull et me force à me retourner. Les dents serrées, il décrète d'une voix rude :

- Il est tard. Je te ramène à la résidence.

Et il me fait signe de monter dans sa voiture. Je pose le regard sur sa main qui tient toujours mon vêtement, puis sur son visage. J'hésite à l'écouter - comme j'ai l'habitude de le faire -, mais je me rappelle ensuite qu'il est l'unique personne qui est en état de me ramener à la fac sans égratignures. Alors j'obtempère à contrecœur. Lorsque je grimpe sur le siège, mon ventre se met à gargouiller. Je grimace et pose une main dessus avec l'espoir de le faire taire.

- Tu as mangé ?

Je secoue la tête.

- Je meurs de faim.

- Évidemment... Allez, attache ta ceinture. On va y remédier, dit-il en démarrant le moteur.

Les pneus crissent sur le bitume et il s'élance dans la nuit noire. En un éclair, nous arrivons dans un fast-food. Après avoir commandé chacun un menu, nous allons nous asseoir à une table près de l'entrée. L'endroit est désert, à l'exception du personnel.

- Quelle soirée, souffle Jared. Une chance qu'on s'en soit sortis vivants.

Je le fusille du regard et mords sauvagement dans mon burger. Le moment est mal choisi pour jouer au clown.

- Tu m'en veux encore ?

- Où est-ce que tu étais, d'ailleurs ? j'élude sèchement. Je croyais que je ne devais pas m'éloigner de toi.

Il pousse un profond soupir.

- Je discutais de certaines choses avec Evan.

- Et tu ne comptes pas m'en dire plus, pas vrai ?

Il a un geste de dénégation.

- Non. Je fais tout pour te tenir à l'écart de ce salopard, mais on dirait que tu aimes t'attirer des ennuis. C'est de plus en plus compliqué de garder un œil sur toi.

Je lève un sourcil, feignant la surprise.

- Parce que tu t'inquiètes pour moi, maintenant ?

- Je m'inquiète tout le temps pour toi. Ne fais pas l'étonnée.

- C'est pour ça que tu as frappé Dylan ?

- Il te menaçait.

- Tu l'as vraiment amoché.

Il a un petit rire.

- N'essaie pas de me faire culpabiliser. Ce qui est fait est fait. Et je ne regrette en rien mon geste.

- Pourquoi fais-tu tout ça ? je demande à mi-voix tout en sirotant mon soda.

- Bon sang, tu as vraiment besoin que je te fasse un dessin ? dit-il d'un ton proche de l'amusement.

Je sens le rouge monter, progressivement.

- Ce que je veux dire, c'est que je ne comprends pas pourquoi... moi. Il existe des milliers de filles beaucoup plus expérimentées, beaucoup plus intéressantes. Je suis tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Ébahit, il m'observe un moment. Quand il reprend la parole, il est presque mécontent.

- Tu te trompes. Tu es tout sauf ordinaire.

Il marque une pause, l'air de réfléchir.

- Toutes les filles sont prévisibles, c'est tellement simple, reprend-t-il avec une once d'ironie dans la voix. Mais toi... tu me prends totalement au dépourvu.

Ça y est, je suis rouge pivoine.

Je ne me rappelle avoir vu ce genre de discours que dans les films cucul et sentimentaux. Je trouvais ça tellement bidon et ridicule... Maintenant, ça prend un tout autre sens. Peut-être bien que je suis devenue niaise.

- Et puis... j'ai une préférence pour les brunes, avoue-t-il, un sourire en coin.

- Quel hasard. Moi aussi. Pour les bruns.

Suite à ma confession, il scrute mon visage - ou plutôt - le dévore de ses pupilles sombres. Mes joues me brûlent. Quant au reste de mon corps, il me donne l'impression de s'être changé en un gigantesque brasier.

- Tu as terminé ?

Je hoche la tête, me lève maladroitement puis me dirige vers la sortie sans l'attendre. Celui-ci me suit et, une fois dehors, il m'attrape par les hanches pour me faire pivoter vers lui. Sa bouche se plaque sur la mienne, et je suis incapable de lui résister.

- Tu comptes beaucoup pour moi, tu sais, souffle-t-il contre mes lèvres avant de m'embrasser à nouveau.

Le cœur sur le point d'exploser, je réalise à quel point j'ai envie d'être avec lui. Plus que tout. Je l'ai dans la peau.

Tu-es-amoureuse, tu-es-amoureuse, claironne une petite voix.

Moi, amoureuse ? N'importe quoi ! Mais il est vrai que je me suis souvent empêchée de songer sérieusement à mes sentiments. L'ennui, c'est que j'ai peur de la tournure qu'ils pourraient prendre. Et puis, on ne tombe pas amoureux aussi rapidement, n'est-ce pas ?

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant