Chapitre 26 : Ainsi va la vie

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Ce fut le dernier contact que j'eus avec lui. Exactement cinq semaines se sont écoulées depuis ce fameux jour et nous ne nous sommes toujours pas adressés la parole. C'est à peine si nous faisons attention l'un à l'autre lorsqu'il nous arrive de nous croiser - de loin. J'ignore lequel d'entre nous deux a commencé à ignorer l'autre, mais c'est bel et bien arrivé. À croire que nous sommes devenus de simples inconnus. Et rien d'autre.

Malgré tout, ma vie se poursuit tranquillement, sans entrave. Elle se résume à travailler, manger, courir, et dormir. Tout va pour le mieux. Vraiment.

Du moins, c'est ce que je me répète. En vérité, je suis forcée d'admettre que cette situation est loin de me laisser indifférente. Je la trouve minable, voire malsaine. Malsaine, car il est fort probable que Jared ait trouvé une nouvelle source de distraction - s'il s'avère que j'en ai été une. Minable, parce que je lui ai donné de l'importance - juste parce qu'il a daigné s'intéresser à moi. En y repensant, un creux se forme dans ma poitrine. Je lui en veux de faire comme s'il ne s'était jamais rien passé entre nous. Nous nous sommes embrassés - plusieurs fois. Certes, ça n'avait probablement pas la même signification pour lui que pour moi mais, quoi qu'on en dise, c'est tout de même arrivé.

Ce qui me préoccupe par-dessus tout, c'est la réaction qu'il a eue lorsque j'ai supposé qu'il était jaloux. Pourquoi est-il devenu si furieux ? Plus d'une fois j'ai songé à aller lui parler pour mettre fin à toutes ces questions qui s'accumulent dans ma tête - chose que je me refuse à faire.

Cela n'a plus aucune importance. Si les événements nous ont rendu distants, qu'il en soit ainsi. Peu importe que ça fasse mal. Dorénavant, tout ce que j'ai à faire, c'est continuer à faire ma vie de mon côté sans rien attendre de sa part.

***

- Je te le répète : c'est non.

Maia m'adresse un regard suppliant, espérant bien me faire renoncer à passer la soirée enfermée dans la chambre.

- Allez, on va s'amuser, je te le jure !

Depuis qu'elle sort avec Dylan, celle-ci l'accompagne fréquemment aux fêtes de fraternité - chose dont je ne l'aurais jamais cru capable avant.

- Je peux t'assurer que tu passeras une bonne soirée !

J'ai déjà expérimenté une soirée en Floride, et ça m'a amplement suffi. Je ne compte pas renouveler l'expérience. De toute manière, je ne m'en sens pas capable.

- Je préfère rester dans ma chambre.

Elle pousse un soupir d'exaspération, à la limite de laisser tomber.

- Tu ne vas pas passer la soirée seule alors que ce sont les vacances. En plus, Dylan et moi serons là. Allez, viens, s'il te plaît...

C'est exactement le même discours qu'elle a tenu pour Thanksgiving. Je m'étais arrangée pour échapper au retour chez mes parents pour l'occasion - en prétextant une importante charge de travail -, alors qu'en réalité je prévoyais de mater une dizaine de films en m'empiffrant des pires cochonneries qui puissent exister. En découvrant ma supercherie, Maia m'a suppliée pendant deux jours consécutifs de venir fêter Thanksgiving chez sa mère. Évidemment, j'ai fini par céder et, très honnêtement, je ne regrette pas. C'est le premier Thanksgiving que j'ai passé loin de ma famille, ainsi je n'ai pas eu à supporter l'ambiance électrique de la maison ni le comportement outrageux de mon père. Malheureusement, ce schéma ne risque pas de se reproduire une seconde fois car dans moins de deux jours je retourne à Kansas City, pour Noël.

- Il faut que je commence à préparer ma valise et...

- Tu as largement le temps, m'interrompt-elle. Sérieusement, tu comptes vraiment passer la soirée ici, toute seule ?

En la regardant, je réalise que je n'en ai plus très envie. Après tout, ce n'est qu'une fête. Il ne peut rien m'arriver de grave. C'est juste pour un soir.

- Très bien. Mais seulement si tu me promets que nous serons de retour avant minuit.

Maia pousse un cri de joie et se lève pour me serrer dans ses bras.

- Promis ! Tu vas voir, on va s'éclater ! s'égosille-t-elle en sautant sur place.

Une part de moi veut y croire mais l'anxiété prend rapidement le dessus. Bien sûr, je fais confiance à Maia, mais personne ne peut prévoir ce qu'il va se passer là-bas. Pour cacher mon agitation, j'entreprends de me préparer. Sans avoir l'intention d'en faire trop, je passe un jean et enfile un top à épaules dénudées. Loin de moi l'idée de faire une rencontre.

- Dylan vient nous chercher en voiture, m'informe Maia en pianotant sur son portable.

Intriguée, je fronce les sourcils.

- C'est loin ?

- C'est à l'autre bout du campus.

De mieux en mieux. Si quelque chose dérape, je ne pourrai même pas rentrer à pied. Ou alors j'aurai droit à une bonne demi-heure de marche jusqu'à ma chambre.

- Tu es prête ? me demande Maia en passant une couche de mascara sur ses cils. Dylan est en bas du bâtiment.

La boule au ventre, je feins un grand sourire qui ne se reflète pas dans mes yeux.

- Je crois.

Elle bondit sur ses pieds et me fait signe de la suivre avec empressement.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant