Chapitre 55 : Tempête

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Vers dix-sept heures, après mon dernier cours de la journée, je prends tranquillement la direction de l'aile ouest du bâtiment principal puis vais m'acheter un café avant de rentrer à la résidence.

Maia passe en coup de vent, juste le temps de m'informer qu'elle va bosser une bonne partie de la soirée à la bibliothèque. Je profite donc d'être seule pour mettre de l'ordre dans mes affaires. Ces dernières semaines, je me suis pas mal éparpillée et il est temps d'y remédier.

D'un coup, il se met à pleuvoir très fort. Des éclairs zèbrent le ciel gris et, l'instant d'après, la foudre tombe. De ma fenêtre, je vois les étudiants courir à l'intérieur des bâtiments pour aller s'abriter, les bras au-dessus de leur tête. J'observe d'un air hypnotisé les grosses gouttes d'eau s'écraser sur les carreaux. La pluie a quelque chose d'apaisant, de narcotique, à tel point que je me mets à bâiller.

Un message de Jared rompt le claquement sec du tonnerre.

Qu'est-ce que tu fais ?

Je réponds précipitamment :

Du rangement. Et toi ?

Rien. À part t'envoyer des messages.

Palpitant. Un nouveau message arrive tout de suite après :

Tu me manques.

Il n'en faut pas beaucoup pour faire bondir mon cœur. Néanmoins, je réussis à me contenir.

On vient à peine de se quitter.

Je sais.

Je laisse une longue minute s'écouler puis finis par lui envoyer :

Toi aussi, tu me manques.

Maia est là ?

Non, elle vient de partir.

Et elle n'est pas près de revenir.

J'arrive.

Comme promis, Jared débarque dans ma chambre quelques minutes plus tard. À peine lui ai-je ouvert qu'il fond sur moi, manquant de me faire tomber à la renverse. Il est trempé. Ses cheveux dégoulinent et l'eau ruisselle jusque sur son visage.

- Bon sang... j'arrête pas de penser à toi, Abby. Je sais pas ce qui m'arrive.

Je l'arrête en posant une paume sur son torse.

- Tu es sûr que ça va ? Tes vêtements sont inondés. Tu vas prendre froid.

Il m'attrape le poignet et le place derrière sa nuque humide.

- Il faut que je t'embrasse. Tout de suite, dit-il, le souffle rauque.

Il tremble de froid alors je me dépêche de lui retirer sa veste mouillée et la jette dans un coin de la pièce à l'aveugle. Ensuite, je réponds avec un sourire malicieux :

- Ne te gène surtout pas.

Sans plus attendre, il m'attrape fermement par les hanches, me soulève puis me plaque contre le mur le plus proche. La vigueur dont il fait preuve me surprend mais j'y réponds avec un grand plaisir. Sa langue est d'humeur taquine. Elle me cajole, goûte à mes lèvres, à la peau de mon cou et s'aventure même un peu plus bas, jusqu'à la naissance de ma poitrine.

- Putain... je pourrais t'embrasser pendant des heures entières.

Je renverse la tête en arrière, les paupières closes, et enfonce mes ongles dans la peau de sa nuque, me régalant de la magie de ce moment. Il pousse un gémissement et je sens son souffle s'infiltrer à travers le tissu fin de mon tee-shirt. Les fourmis s'agitent dans mon bas-ventre à ne plus en finir. Oh Mon Dieu.

Si nous continuons ainsi, il est probable que les choses s'enchaînent. En ai-je vraiment envie ? Oh que oui. J'en aitellement envie. Mais suis-je capable d'aller plus loin ?

Oui... Non.

- Jared... je n'arrive plus à respirer.

Il me repose et desserre son étreinte, comprenant que je suis arrivée, malgré moi, au bout de mes limites. Je dépose un dernier baiser sur sa bouche. Je m'en veux de réagir de cette manière et qu'il soit contraint de subir mes troubles. Ce n'est pas juste. Il est d'une extrême patience et compatissant, mais je ne parviens toujours pas à me défaire des images qui continuent de défiler dans mon cerveau détraqué. En serai-je un jour débarrassée, pour de bon ?

- Laisse-moi un peu te sécher les cheveux, j'intime à Jared, voyant qu'ils gouttent encore. Je ne veux pas que tu tombes malade.

Il me regarde avec une douce chaleur dans les yeux. On dirait un enfant.

- D'accord.

Je l'installe sur ma chaise de bureau, pars chercher une serviette de bain et reviens me placer devant lui. Pendant que je lui enveloppe ses cheveux dans la serviette, il joue distraitement avec les miens, l'air absent.

- Merci de prendre soin de moi, lâche-t-il avec un sérieux implacable.

Nos yeux se rencontrent. Je souris, un peu embarrassée, et hausse les épaules.

- Ne dis pas n'importe quoi. Il n'y a rien de plus normal.

La bouche entrouverte, il s'apprête à dire quelque chose mais son portable sonne. Je vois rouge lorsque le nom de Zoey apparaît sur l'écran.

- Pourquoi est-ce qu'elle t'appelle ? je m'insurge aussitôt.

- J'en sais rien.

- Demande-lui, dans ce cas. Je suis sûre qu'elle a une bonne raison.

Tout à coup, son humeur - toujours aussi imprévisible - change à nouveau. J'ai l'impression de faire un bond en arrière.

- Arrête ton cirque.

Pardon ?

- Quel cirque ?

- Tu dérailles totalement, grogne-t-il en retirant la serviette avec virulence.

- Moi, je déraille ? J'en reviens pas... donc je suis censée me taire et acquiescer gentiment ?

- Je n'ai aucun compte à te rendre. On n'est pas ensemble.

J'ai l'impression d'être happée par un trou noir. On vient de vivre un moment sexy, intense en émotions et il ose dire qu'après tout ce temps nous ne sommes pas en couple. C'en est trop. Je craque.

- Tu sais quoi, j'en ai marre. Je croyais qu'on était parvenus à dépasser ce stade. Vraiment. Mais, une fois de plus, je me suis trompée. Tu es, et resteras un connard fini.

Il écarquille les yeux, outré.

- C'est vraiment ce que tu penses ?

- Parfaitement, j'énonce distinctement, les poings serrés.

- Bien. Je crois qu'on s'est tout dit.

Il se lève et ramasse sa veste par terre.

- Alors c'est tout ? je siffle. Tu vas faire ce que tu fais le mieux : partir et retrouver Zoey ?

- Nous avons tous les deux besoin de nous calmer un peu. On se voit demain, tranche-t-il froidement.

Avant que j'aie le temps de répondre, il sort en trombe de la chambre.

Moralité : Ava avait raison. Ava a trop souvent raison. J'aurais dû garder mes sentiments pour moi au lieu de me déclarer aussi rapidement.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant