À corps perdu

Chapitre 56 : Humeur de merde

En sortant de cours, j'entends Aiden m'appeler. Je pivote sur moi-même.

- Oui ?

Il baisse les yeux et se frotte la nuque.

- Tu es libre ce soir ? demande-t-il prudemment.

- Pourquoi ?

Il se balance d'un pied à l'autre.

- Heu... je me demandais juste... si tu accepterais d'aller au ciné avec moi ?

Sa voix déraille sur le dernier mot. Mon premier réflexe est de vérifier que Jared n'est pas dans le coin, et qu'il n'a pas entendu la proposition d'Aiden. Ensuite, j'avale nerveusement ma salive. Recouvrant mon sang-froid, je m'arrache un sourire chaleureux.

- J'ai une tonne de devoirs et je dois faire des courses, aussi.

Mon mensonge n'en est pas entièrement un. J'ai effectivement plusieurs devoirs à rendre, mais la principale raison de mon refus est Jared. Il deviendra fou s'il apprend que Aiden m'a proposé de sortir. Il faudra que je sois discrète à ce sujet là - même si nous sommes passagèrement en froid depuis hier.

- Oh... une autre fois, peut-être ?

Aiden affiche une moue déçue, ça me fait de la peine.

- Bien sûr, je me dérobe.

Je me mords aussitôt la langue. Pourvu qu'il ne prenne pas ma réponse au pied de la lettre. Je m'éloigne rapidement, en direction de la cafétéria où m'attend Maia. Après être allées acheter des sandwichs pour le déjeuner, nous mangeons tranquillement dans l'herbe, à l'ombre du soleil qui a fait son grand retour. Quand nous avons terminé, nous jetons nos emballages puis prenons le chemin de la résidence.

- Tiens, on dirait que tu t'es trouvé une rivale de taille, lance Maia.

Qu'est-ce qu'elle raconte ? Je tourne la tête et remarque directement une fille assise sur un banc à côté de Jared, ses longs cheveux dorés flottant dans le dos. Zoey. Ce serait mentir de dire que je ne ressens pas une seule pointe de jalousie en les voyant. J'ignore ce qu'ils se racontent mais Zoey rit aux éclats. À tel point que Jared ne me jette pas un regard. Il ne m'a pas vue. Comment aurait-il pu alors qu'il est en compagnie de cette fille ? Elle a pris ma place. Ou peut-être l'a-t-elle simplement récupérée.

J'avance d'un pas, bien décidée à la reprendre, puis me rétracte. En prenant un peu de recul, il est vrai qu'il a le droit de parler à qui il veut. Qui suis-je pour le tenir en laisse ? Une personne mature et responsable. Sans compter que nous ne sommes même pas en couple. Il l'a dit lui-même.

- Tu as l'intention de les observer toute la sainte journée ? s'impatiente mon amie.

- Pas du tout. J'ai mieux à faire.

En rentrant, j'ai énormément de mal à mettre de côté ma rancœur - et ma jalousie. Qu'est-ce qu'il se trame entre eux ? Ça ne peut signifier que deux choses : soit ils ont fini par se réconcilier, soit ils envisagent même de remettre le couvert. Je n'aime pas ça. Je n'aime pas ça du tout. Et j'aime encore moins ma réaction. Ça devrait être le cadet de mes soucis et au lieu de ça, je suis en train de me pourrir l'esprit. Si Jared pense qu'il va pouvoir continuer à se payer ma tête sans que je mette en place des moyens offensifs, il se plante lourdement car je m'apprête à riposter dès maintenant.

Je fais défiler mes contacts dans mon téléphone puis colle l'appareil à mon oreille, pleine d'espoir. Aiden répond à la première sonnerie.

- Abby ?