Jared me regarde avec anxiété de la tête aux pieds avant de revenir à mon visage. Il a l'air essoufflé, comme s'il venait de courir un marathon.
- Abby... soupire-t-il en faisant un pas en avant.
Mais je bloque la porte, l'empêchant de rentrer. Il a dû oublier que nous ne sommes pas adressés la parole pendant plus d'un mois.
- Laisse-moi passer, s'il te plaît.
Je secoue la tête.
- Tu ne devrais pas prendre l'habitude de venir toquer à ma porte.
- Très drôle, dit-il avec un petit rire forcé. Maintenant, ouvre.
Dès l'instant où je relâche ma prise, il déboule en trombe dans la chambre - ce qui me fait reculer - et s'arrête à exactement cinq centimètres de mon visage.
- Bordel, je t'ai cherché partout ! s'emporte-t-il.
Son inquiétude me désarçonne.
- Mais de quoi tu parles ? je bredouille, confuse.
- Comment tu es rentrée ?
Il me fixe, attendant une réponse. Je m'oblige à avaler ma salive pour lui répondre.
- Euh... on m'a raccompagnée.
- Qui ?
Pas question d'évoquer Aiden, ce serait pire. J'ai bien compris qu'il désapprouve le fait que nous nous fréquentions, et je me demande bien pourquoi.
- On s'en fout de savoir qui m'a raccompagné. Je suis là, c'est tout ce qui compte.
Il fronce les sourcils. Son comportement commence sérieusement à m'intriguer.
- Je... j'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose, murmure-t-il.
Son regard est triste, abattu, laissant supposer qu'il s'est réellement fait du souci pour moi. Le voir ainsi, avec autant de tristesse contenue dans ses paroles, me fait frémir.
- Jared, je vais bien.
La sérénité avec laquelle je m'exprime me surprend. Il pousse un soupir - de soulagement peut-être - puis prend mon menton dans sa paume. Penser de façon cohérente devient extrêmement ardu lorsqu'il me touche et je suis certaine qu'il en a conscience. Sa proximité est telle que je peux sentir son souffle chaud sur mes lèvres. Je me surprends à me les humecter, et aussitôt ma peau s'enflamme. L'expression de Jared change instantanément, une lueur de désir illumine ses yeux, puis il colle son front au mien. J'anticipe le moment où sa bouche va se sceller à la mienne...
Mais rien.
Il s'écarte - sa main retombe mollement - me laissant une sensation de brûlure sur la peau et, surtout, de frustration.
- Tu n'aurais pas dû t'enfuir comme ça, sans prévenir personne.
Ses yeux ont repris leur expression distante - celle que je redoute le plus.
- Tu n'es pas mon père, je riposte en levant les yeux au ciel.
- Alors arrête de te comporter comme une gamine émotive.
- Comment... comment tu peux dire ça ! Tu ne sais rien de moi, je lâche d'une voix glaciale.
- Détrompe-toi. Je sais plus de choses que tu ne le penses.
Je sens la colère prendre le dessus, sans doute parce qu'il a touché un point sensible et qu'il m'a laissée croire qu'il était sur le point de m'embrasser - avant d'y mettre brutalement fin. Furieuse, je croise les bras et lui lance un regard noir.
- On s'est tout dit, je lance d'un ton cinglant. Tu peux partir.
Mais il ne bouge pas d'un poil.
- Je t'ai demandé de sortir de ma chambre.
- Mais tu n'as pas envie que je m'en aille, si ?
Probablement pas, mais il le faut.
- Va-t'en, Jared. Sinon...
- Sinon quoi ?
Je ne suis pas du genre violente, loin de là. Je suis plutôt du genre à fuir le conflit.
- Sinon rien du tout ! Et puis, qu'est-ce que tu veux au juste ? Me rappeler à quel point je suis pathétique ?
Il secoue la tête, sourcils froncés.
- Tu n'es pas pathétique.
- Voilà au moins une bonne nouvelle, dis-je, sarcastique, avant de m'effondrer sur mon lit.
Il rit d'un rire léger. Ce garçon est déroutant, il me fait littéralement tourner en bourrique.
- Tu es particulièrement irritable ce soir, se moque-t-il.
- C'est ta faute si je suis en colère.
Il rejoint mon lit et s'assoit à côté de moi. Le cœur battant, je me prépare à entendre une remarque humiliante. Mais, l'air le plus sérieux du monde, Jared me regarde attentivement et dit :
- Tu peux déballer ton sac. Je ne te jugerai pas, promis.
Je ne peux m'empêcher de rire.
- C'est une plaisanterie ?
- Absolument pas. C'est ce que font les amis.
Ma tête se met à tourner. Ce mot va me hanter jusqu'à la fin de ma vie !
- Je ne veux pas être ton amie, Jared, j'avoue en fixant le sol.
- Ne dis pas n'importe quoi. Je suis exécrable avec toi. Tu ne peux pas ressentir ça.
Ça alors, lui-même le reconnaît.
- Je ne suis pas sûre d'avoir encore le choix.
- On a toujours le choix.
Je me détourne, sentant les larmes brûler mes yeux, et fixe la fenêtre sans la voir. Il a tort. Si j'avais encore le choix, je le chasserais sur le champ et lui dirais même d'aller se faire voir. Or, ce n'est pas le cas.
Jared tend la main et la pose sur la mienne. Lentement, du bout de l'index, il la caresse et y trace des petits cercles invisibles. Jamais aucun contact ne m'a paru à la fois si doux et si fort. Cependant, je doute que ce geste ait la même signification pour lui que pour moi. Qu'importe, autant en profiter tant que j'en ai l'occasion.
- Tu veux toujours que je m'en aille ? reprend-t-il de sa voix de velours.
Il y a un long silence, puis :
- Non, je réponds d'un ton aussi normal que possible.
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À corps perdu
RomanceAbbigail, dix-huit ans, discrète et peu sûre d'elle, retourne comme chaque été en vacances chez sa tante. Mais ces quelques jours passés sous le soleil écrasant de Floride vont chambouler son existence qui, jusqu'à présent, lui a toujours semblé vul...