Sans surprise, il m'attend sur le parking de l'aéroport - dans la voiture. Le ventre noué, je parcours à pas lents les quelques mètres qui me séparent de lui.
- Bonjour, papa, dis-je à voix basse.
Il me lance un de ses regards insaisissables puis remue la tête en guise de réponse. La froideur de son accueil ne devrait même pas m'étonner, pourtant j'espérais qu'il soit un peu plus enthousiaste de me revoir. Mais je comprends que, même si c'était réellement le cas, il est beaucoup trop pudique pour le manifester.
- Tu as fait bon voyage ? demande-t-il d'un ton aimable.
Ironique.
Je devine aisément que sa véritable question est en fait : « Tu es contente d'être de retour, ma puce ? ». Je déglutis avec peine, cherchant désespérément une goulée d'air frais.
Et la réponse est : Non.
- Oui.
Notre conversation se limite à quelques commentaires sur le temps et, bien entendu, sur mes résultats à l'université. Ensuite, il se concentre sur la route et moi sur les arbres qui défilent le long de la route. Kansas City m'a manqué, c'est vrai, mais j'éprouve un étrange malaise en revoyant cet endroit que je croyais avoir quitté pour de bon. La perspective de ma semaine se révèle être plus compliquée que prévu.
Lorsque mon père se gare devant la maison, les souvenirs refont surface. Les bons comme les mauvais. Mais je refuse de les laisser prendre l'ascendant sur moi. Je-maîtrise-la-situation.
À peine suis-je descendue de la voiture que la porte d'entrée s'ouvre. Ma mère sort en courant pour venir à ma rencontre.
- Ma chérie ! s'exclame-t-elle avec un sourire radieux. Tu n'es pas trop fatiguée ?
Dès qu'elle en a la possibilité, elle me serre dans ses bras. L'absence de sa chaleur si réconfortante commençait à se faire ressentir. Au bout de quelques minutes, je me défais de son étreinte.
- Un peu. Mais maintenant ça va beaucoup mieux.
Elle sourit une nouvelle fois. Je repense à son affolement la dernière fois que je l'ai eu au téléphone. Maintenant, elle semble calme, sereine. Peut-être que je m'inquiète pour rien.
- Rentrons à l'intérieur, décrète soudainement la voix acide de mon père.
Je sors ma valise du coffre et remonte la petite allée bordée de fleurs. Je me souviens que j'adorais remplir le gros arrosoir situé au fond du jardin pour les arroser une fois le soleil couché.
À l'intérieur de la maison, rien n'a changé. Il règne toujours cette même atmosphère étouffante qui prend à la gorge et rend inconfortable. Seul le sapin verdoyant décoré de boules et de guirlandes pour Noël apporte une touche de gaieté au salon.
Il n'y a pas un seul grain de poussière en vue. Tout a été lavé, lustré, rangé avec le plus grand soin. J'ôte mes chaussures en prenant garde de ne pas salir le sol récemment ciré. Mon père ne supporte pas la saleté, ni le désordre. Le contrarier alors que je viens tout juste d'arriver m'apparaît comme la pire chose à faire. Un rien est capable de le rendre fou. Quelque fois, on croirait que sa colère se met à le contrôler - ce qui expliquerait son comportement totalement démesuré.
Je m'empresse de monter mon sac à l'étage dans, ma chambre - ou ancienne devrais-je dire. L'air y est frais, presque glacial, ce qui me donne la chair de poule. Mon départ à l'université a bouleversé pas mal de choses. Pour commencer, mes parents en ont profité pour y stocker leurs vieilles affaires dans des gros cartons, et tout le mobilier a été rénové. Seul le papier peint a conservé sa couleur : violet - ma préférée. Ce grand changement est la preuve que je n'étais pas la seule à vouloir m'en aller le plus vite possible. Mon père n'a pas perdu de temps pour faire de mon ancien refuge une chambre d'ami. De toute évidence, il ne compte pas me revoir vivre ici. Désormais, je me sens étrangère dans cette maison qui a été - autrefois - la mienne.
- Abby ! s'écrie une petite voix aiguë. Abby ! Tu es revenue !
Paul déboule dans la chambre et se précipite sur moi. Je me penche pour l'attraper et il m'entoure le cou de ses petites mains.
- Comment ça va, p'tit bonhomme ?
Ses joues sont rouges d'excitation lorsque je le repose par terre. C'est avec horreur que je me rends compte à quel point il a grandi durant mes quelques mois d'absence. Le temps passe à une vitesse folle... si bien qu'il est presque impossible de le voir.
- J'ai une devinette, dit Paul, très sérieux. Qu'est-ce qui est jaune et qui attend ?
Je me retiens de rire.
- Heu... laisse-moi réfléchir...
Je fronce les sourcils et tapote mon menton.
- Alors, tu trouves ou tu donnes ta langue au chat ? s'impatiente-t-il en sautillant autour de moi.
- Je donne ma langue au chat, je réponds en lui attrapant les mains pour le calmer.
Paul m'observe, ravi, puis lance :
- Jonathan !
Je m'esclaffe.
- Encore cette blague ? Il nous l'a fait au moins quinze fois par jour...
Je relève la tête. Eïleen nous a rejoint discrètement, sans que je m'en aperçoive, et parcourt la pièce d'un regard triste.
- Désolée pour ta chambre. Maman et moi... on a vraiment essayé de l'en dissuader... mais il n'a rien voulu entendre.
Le nouvel agencement de ma chambre a l'air de l'affecter beaucoup plus que moi. J'imagine que mon absence a dû rendre encore moins soutenable la vie à la maison. Lorsqu'elle avait besoin de moi pour la réconforter, je n'étais pas là. Et je ne peux m'empêcher de m'en vouloir.
- Tu m'as manquée, Eïleen.
- Toi aussi.
Je m'avance et la prends dans mes bras, le sourire jusqu'aux oreilles.
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À corps perdu
Roman d'amourAbbigail, dix-huit ans, discrète et peu sûre d'elle, retourne comme chaque été en vacances chez sa tante. Mais ces quelques jours passés sous le soleil écrasant de Floride vont chambouler son existence qui, jusqu'à présent, lui a toujours semblé vul...