Chapitre 34 : Quand la lumière s'éteint

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Il fait noir. L'obscurité m'enveloppe. Il n'y a rien autour qui puisse me permettre d'identifier l'endroit où je me trouve. L'air est tiède, immobile. Une odeur familière me brûle les narines : celle de la mer. J'entends le bruit des vagues et sens les grains de sable sous mes pieds nus. Ma respiration est bruyante mais régulière. Je me sens bien.

Mais ce sentiment de bien-être s'évanouit peu à peu pour laisser place à de l'angoisse, comme si un danger approchait. Une boule se forme dans ma gorge, mes paumes deviennent moites, les battements de mon cœur résonnent jusque dans mon crâne.

Cours, Abby ! Cours ! me hurle une voix, terrifiée.

En dépit de ce commandement, je ne bouge pas. Je veux m'enfuir mais mes pieds sont cloués au sol, me rendant prisonnière de ma terreur.

Soudain, une main inconnue m'agrippe le poignet. Je tourne la tête. Jesse me sourit. Ce sourire a presque quelque chose de rassurant.

Trop tard.

- Chut, murmure-t-il en posant un doigt sur mes lèvres.

Il serre encore plus fort mon poignet. Je me débats pour me libérer de son emprise, il se contente d'enfoncer un peu plus ses ongles - ou ses griffes - dans ma chair. Les larmes me montent aux yeux et, prenant subitement conscience que mon autre main est libre, je le frappe au visage. Il chancelle et je profite de cette infime seconde pour me dégager.

Je cours aussi vite que je le peux et lorsque je pense avoir mis assez de distance entre lui et moi, je trébuche et ma tête heurte brutalement le sol. Je tousse puis recrache le sable qui m'est rentré dans la bouche, les yeux baignés de larmes.

Je sens un poids se presser contre moi, m'empêchant de me relever.

- Vilaine fille.

Non ! J'agite les bras et gesticule dans tous les sens. Il s'accroche dans les passants de mon jean pour me tirer vers lui et s'agrippe à mes cheveux. C'est terminé. Je ne peux plus rien faire. Il m'a encore eu. Je hurle. Sauf que je ne produis aucun son. Je suis toute seule. Et personne ne viendra m'aider. Personne.

Je ferme les yeux et pleure. Un torrent de larmes et de sanglots me secoue.

Maman dit que pleurer permet de se sentir mieux après.

Je continue à pleurer, à gémir, et à crier pendant ce qu'il me semble des heures entières. Une somnolence fatale semble s'être emparée de moi. Je reste inerte. Puis, lorsque mes paupières s'ouvrent enfin, Jesse a disparu. Un faible rayonnement lumineux se diffuse dans l'air. Le sable s'est transformé en un sol marbré. À présent, je suis dans une pièce blanche aux murs couverts de miroirs. Je m'approche d'un pas mal assuré et découvre avec effroi mon reflet.

Je suis couverte de sang.

Abby ! Réveille-toi !

Le flot de liquide chaud colle mes habits à ma peau et dégouline le long de mes cheveux et de mon visage. Je baisse les yeux sur mes mains, celles-ci sont rouge vif. À la fois horrifiée et écœurée par cette vision, un cri aigu suivit d'un hoquet bruyant m'échappent.

Abby !

Je me redresse d'un bond sur mon lit, haletante, le cœur sur le point d'exploser. Les ombres dansent et se tapissent dans les coins de la chambre. Je sursaute en découvrant la présence d'Eïleen, assise à ma droite.

- Ton cauchemar avait l'air... vraiment horrible, bredouille-t-elle en allumant la lampe de chevet, la bouche crispée.

Je m'essuie les joues du plat de la main. Je tremble comme une feuille.

- Désolée de t'avoir réveillée, dis-je d'une petite voix.

Voilà un moment que je n'avais plus réveillé personne par mes cris en plein milieu de la nuit. Depuis mon entrée à l'université, en fait.

- Ce n'est pas ta faute, me rassure-t-elle d'une voix douce. On fait tous des mauvais rêves.

J'enfouis mon visage dans mes mains et me remets à pleurer. Tous mes efforts ne servent à rien, bien sûr. Ces images que je m'applique désespérément à garder enfouies resurgissent et me forcent à les affronter.

- Quelle sensation ça t'a fait d'être loin d'ici ? me demande subitement Eïleen.

Mes pleurs cessent aussitôt et je renifle bruyamment.

- Beaucoup de bien.

- Je sais que je ne devrais pas dire ça... mais je t'envie. Il m'arrive de vouloir partir, le plus loin possible, et de ne jamais revenir.

Je la dévisage, traversée par un frisson. Je crois m'entendre, mot pour mot.

- Partir ne veut pas forcément dire oublier.

Elle pousse un soupir.

- Je sais... c'est juste que... je n'y arrive plus, Abby. C'est trop dur à supporter sans toi.

Je tends le bras pour lui saisir la main et l'entraîne à côté de moi dans mon lit. Nous nous blottissons l'une contre l'autre et nous étreignons mutuellement.

- Tu n'es pas seule, Eïleen, je murmure avant de sombrer à nouveau dans un sommeil instable. Je suis là, je suis là...

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant