À corps perdu

Chapitre 60 : Vers nulle part

J'hésite longuement avant de l'appeler. Qui sait si elle me répondra ? Rien n'est moins sûr. Mais j'ai besoin de son soutien. Elle est l'une des dernières personnes qu'il me reste et en qui je peux avoir pleinement confiance.

- Allô ?

- Ava, c'est Abby.

Grand silence. Un coup de vent me gifle la joue.

- Alors, ça y est, tu t'es enfin décidée à m'adresser la parole ? Je te croyais morte, depuis le temps.

Son ton trahit l'amertume. Quoi de plus normal.

- Je... Pardon.

Que puis-je dire d'autre ?

- C'est trop facile, Ab, réplique-t-elle, hostile. Si tu crois que je vais faire comme s'il ne s'était rien passé, tu me connais mal.

- Je ne te demande pas de me pardonner, seulement de m'écouter.

Je l'entends soupirer à l'autre bout du fil.

- Le truc, tu vois... c'est que je suis pas sûre de vouloir encore t'écouter. Je sais même pas pourquoi j'ai décroché ce putain de téléphone, marmonne-t-elle.

Je ne m'avoue pas vaincue et tâche de m'exprimer normalement.

- Je regrette de vous avoir ignorés, toi, Aaron et Emy. J'étais... mal.

- Ce n'est pas une excuse. On est tes amis, Ab. Tu sais que je t'ai toujours soutenue, je te connais par cœur. Tu aurais dû me parler au lieu de m'ignorer et faire comme si je n'avais jamais compté pour toi.

- J... je suis tellement désolée, Ava, je répète inlassablement.

Ma voix se brise. Je fonds en larmes puis annonce d'une seule traite :

- Ma mère est morte.

C'est étrange de le dire tout haut. Comme si cela rendait la chose encore plus réelle, encore plus insupportable qu'elle ne l'est déjà. Ava ne dit mot pendant quelques instants.

- Oh... mon Dieu. Abby... je... comment c'est arrivé ?

C'est la faute de ton père. Il la tabassait sous tes yeux, et tu n'as rien fait pour l'en empêcher. Tu as préféré ignorer la vérité plutôt que de lui venir en aide. Tu es faible. Lâche. Tu es une meurtrière. C'est toi qui aurais dû mourir. C'est ta faute. Tout est ta faute.

- Elle a eu un accident.

- Abby... je... merde...

Je me mords la lèvre jusqu'au sang, empêchant les pleurs et les gémissements de s'évader.

- Ne dis rien, s'il te plaît.

- Tu es où là ? s'enquiert-elle.

Quelque part, au milieu d'une route.

- À Stanford.

- Ta tante est au courant ?

Kristen... Elle ne s'en remettra pas.

- J'en sais rien, Ava... je... je veux juste... partir.

- D'accord, d'accord, fait-elle calmement. Écoute-moi, tu crois que tu peux te payer un vol jusqu'en Floride ?

- Je crois.

En vérité, je n'en sais rien. Mais je ferai le nécessaire pour quitter cet endroit, un moment.

- Je suis avec toi, Ab. Ne t'inquiète pas. On est tous avec toi.

C'est drôle.

Parce que je me sens terriblement seule.

À la dérive.

Et je ne suis pas sûre de pouvoir tenir le coup.