Chapitre 7 : Stanford

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- Abby !

J'embrasse ma chambre du regard en ignorant l'appel de ma mère. Le papier peint violet, mon vieux tapis à franges, ma guirlande de lumières - tout cela appartient à mon enfance et je vais la quitter d'ici un quart d'heure. Sans grand regret.

Rentrer à l'université est un grand moment, peut-être même l'un des plus importants dans une vie. Je me souviens nettement de la joie de ma famille, et de la mienne, lorsque j'ai été acceptée à Stanford. Je savais que mon acceptation signifierait partir, loin. Plus exactement sur la côte Ouest des États-Unis, en Californie. Mais c'est ce que je voulais. Partir. Quitter la maison est ce qu'il peut m'arriver de mieux, et de pire. Mieux, parce que je serai loin de mon tyran de père. Pire, parce que je laisse ma mère et les petits. Mais je dois penser à moi. Je rêve de ce départ depuis des années et ce jour est enfin arrivé. C'est à peine croyable et, pourtant, c'est bien vrai.

- Abbigail Collins ! crie ma mère pour la énième fois, mais plus fort cette fois.

- J'arrive !

Je dévale les marches de l'escalier puis retrouve ma mère dans la cuisine, son éternelle tasse de thé à la main. Elle a sorti son plus beau tailleur et a coiffé ses cheveux courts en arrière. Elle a l'air d'avoir bonne mine, ça me rassure. Ma mère est la femme la plus douce qui puisse exister dans ce monde. L'opposé même de mon père. Un homme froid, dur, et autoritaire.

- Dis au revoir à ton frère et à ta sœur. Ton père nous attend dans la voiture, dit ma mère en ajustant sa jupe, sûrement pour éviter une remarque cinglante.

À ce moment, Paul et Eïleen débarquent dans la cuisine.

- Bi'zous, Abby ! s'écrie Paul en me tendant sa joue.

Sa bouille de farceur va me manquer. En fait, elle me manque déjà. Je le serre fort dans mes bras et l'embrasse dans le cou, ce qui déclenche son rire. Je me tourne ensuite vers Eïleen. Ses yeux sont rougis et gonflés. Je sais qu'elle fait tout pour ne pas pleurer - même si elle l'a déjà fait.

- On s'appellera le week-end, hein ? murmure-t-elle la voix tremblante.

- Tous les week-ends, je lui assure en caressant ses boucles blondes.

De toute ma famille, je suis la seule à être brune et à avoir les yeux marrons. Il m'arrive de me demander, souvent, si je n'ai pas été malencontreusement échangée à la naissance.

Dehors, mon père est en train de mettre ma valise et un carton - que j'ai peiné à remplir entièrement - dans la voiture. Son visage est d'une extrême fermeté, ne laissant aucune émotion le trahir. Il est très pudique avec l'expression de ses émotions. De ce côté-là, je lui ressemble beaucoup et je ne peux pas le nier.

Le trajet jusqu'à l'aéroport se déroule dans le silence. Entre le Missouri et la Californie, le vol dure environ trois heures - soit l'équivalent du trajet pour aller en Floride chez Tante Kristen -, auxquelles s'en ajoute une jusqu'à Stanford, en taxi.

J'aimerais pouvoir dire que débuter ma vie à l'université est chose facile. En réalité, m'intégrer ne fait pas partie de mes projets. C'est même une évidence. Je suis du genre assez renfermé, très timide, ce qui me vaut la peine de n'avoir que quelques amis. Mais « quelques » me suffit amplement. Quant au fait d'avoir une colocataire, je n'y ai pas beaucoup pensé. Voire pas du tout. J'espère simplement qu'elle ne sera pas du genre à ramener n'importe qui et à n'importe quelle heure dans la chambre. Autrement, la cohabitation risque d'être compliquée.

***

Quand nous atterrissons en Californie, je me sens plus légère. Comme si un poids avait été retiré de ma poitrine. La température frôle les vingt-cinq degrés. Au moins, la chaleur ne risque pas de me manquer. Mes parents et moi montons dans le taxi qui nous attend patiemment. À la vue des panneaux indiquant Stanford, je prends conscience que ma vie va prendre un nouveau tournant. Lorsque nous passons le portail de l'entrée du campus mon cœur fait des bonds à m'en rendre malade.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant