Chapitre 47 : Dérapage nocturne

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Après que Jared ait bigrement insisté pour m'accompagner chez Evan - celui-ci vit à Menlo Park -, je le rejoins à vingt-deux heures tapantes sur le parking universitaire. Il est appuyé contre la carrosserie de sa voiture, les bras croisés et les traits durs, tandis que j'approche de la Chevy noire.

- Salut, dis-je.

Sa réponse se limite à un vague hochement de tête. Ensuite, il contourne le pick-up, déverrouille les portières, puis fait vrombir le moteur - signe qu'il n'attend plus que moi. Je surmonte ma frustration et grimpe sur le siège de devant. Dès que je suis installée, Jared se met en route et file vers la sortie de la fac. Il fait nuit noire. J'appréhende de me retrouver dans un lieu inconnu avec de parfaits étrangers. Sans être une experte, je peux d'ores et déjà affirmer que cette fête n'aura rien à voir avec celles organisées sur le campus.

Quelle idée tu as eu...

- Tu es certaine de vouloir y aller ? lâche Jared d'une voix éraillée après un silence gêné. Je peux t'emmener autre part, si c'est ce que tu veux. N'importe où. Sauf là-bas.

Je retiens mon souffle, les yeux fixés sur l'horizon pour ne pas croiser son regard, faussement impassible.

- J'ai dit que je viendrais.

- Tu peux encore changer d'avis, renchérit-il.

- Non.

Il rit jaune.

- J'ignore ce que tu essaies de prouver mais je peux t'assurer que c'est ridicule.

Mon silence en dit long. Cette conversation me fait progressivement entrer dans une sorte de torpeur dont il est impossible de se défaire. J'ai peut-être sous-estimé Evan et surestimé mon audace.

Il fallait y penser plus tôt, petite sotte.

Trop tard pour les remords. Jared se gare devant une grande maison à l'allure chic puis coupe le moteur. Il ouvre sa portière et se dirige droit vers l'entrée. Je me hâte de lui emboîter le pas. Juste avant d'entrer, il m'empoigne la main.

- Ne t'éloigne pas, compris ?

Je hoche la tête, nerveuse.

- D'accord.

La seconde d'après, nous sommes absorbés par une vague de corps en délire. Je suis morte de trac. L'intérieur est bondé de jeunes qui sont clairement là pour faire la bringue. Impossible de reconnaître qui que ce soit. Je resserre encore un peu plus ma prise autour de la main de Jared. Nous parcourons quelques mètres quand Evan émerge de la foule et s'avance dans notre direction.

- Hé, salut, mec ! crie-t-il avec un petit geste de la main. Content que tu sois venue, Abby !

Je m'applaudis pour avoir eu l'intelligence de revêtir un jean un peu trop large et un pull oversize lorsqu'il me scrute avec un peu trop d'insistance de haut en bas.

- Je peux te parler trente secondes, seul à seul ? demande-t-il à Jared d'une voix forte pour se faire entendre.

Un sourire mauvais lui pend aux lèvres. Crétin.

Jared se tourne vers moi, l'air obscur. Je lui intime d'un mouvement de tête d'y aller - bien que je souhaite tout l'inverse - et finis par le lâcher.

Je me sens prise au piège - comme un rat de laboratoire - au milieu de tous ces visages méconnus, sans aucun repère. Tout à coup, j'ai du mal à respirer. Il me faut de l'air. De l'air frais. D'urgence. Et de l'espace, aussi, car je peux à peine bouger dans le salon.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant