Chapitre 9 : Un garçon déconcertant

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Les jours suivants sont mieux... et pires. Mieux parce que je n'arrive en retard à aucun cours. Mieux, parce que je commence à prendre mes marques, et à me sentir chez moi. Aussi surprenant que ça puisse paraître, je m'adapte assez vite à ma nouvelle vie d'étudiante. Mieux, parce que Maia s'avère être une bonne copine. Une vraie bonne copine.

   Pire parce que, où que j'aille, Jared Parks est là. S'il était au courant de ma présence à Stanford je dirais qu'il le fait exprès. Et enfin, pire, parce qu'il s'insinue continuellement dans mes pensées, même quand je n'y tiens pas. Il faut que je l'oublie, et vite, avant de devenir cinglée.

   Après mes cours de la matinée, je rejoins Maia à la cafétéria. En l'espace de quelques jours, c'est devenu notre petit rituel. Je prends place dans la file d'attente, observant la horde d'étudiants déferler d'un œil fatigué. Cette nuit a de nouveau été mouvementée par mes perpétuels cauchemars.

   Tout à coup, comme surgit de nulle part, une voix grave et harmonieuse m'interpelle.

–      Abby ?

   Je manque de laisser tomber mon plateau sur le sol, abasourdie de le découvrir à mes côtés. Sa tignasse brune est toute ébouriffée mais il n'en est que plus séduisant. J'avais oublié combien il est grand. Et intimidant.

–      Salut, je murmure.

–      Qu'est-ce que tu fais ici ?

   Une vague de surprise traverse le visage de Jared puis il passe sa main dans ses cheveux. Diable, qu'il est beau. J'ai rêvé de lui des milliers de fois, mais le voir en chair et en os dépasse largement mes fantasmes.

–      Eh bien... ça me semble logique, je suis étudiante. Comme toi.

–      Je ne m'attendais pas à te revoir.

   Moi non plus.

   Il plisse les yeux et se met à me dévisager avec insistance. Déstabilisée par son examen, je baisse les yeux et attrape une bouteille d'eau que je dépose avec précaution sur mon plateau.

–      Je t'ai appelé, mais tu n'as jamais répondu.

   Son ton est neutre, à la limite du coupant. Je me dérobe vivement, mais pas avant d'avoir décelé en lui une sorte de reproche auquel je n'ai pas de réponse. Je ne lui ai jamais donné de nouvelles, certes, mais j'avais de bonnes raisons de le faire. Bien entendu.

–      J'étais occupée.

   Il hausse un sourcil.

–      Tu étais occupée, répète-t-il lentement.

   Ses traits sont empreints d'une sorte de frustration que je ne comprends pas.

  Sans dire un mot, je m'éloigne rapidement avec mon plateau. Je retrouve Maia à notre table habituelle – au fond de la cafétéria –, elle est absorbée par Le portrait de Dorian Gray. Je me souviens l'avoir lu il y a quelques années et j'en garde un souvenir traumatisant.

–      Tu fais un régime ?

   Elle louche sur mon plateau quasi vide. Je hausse les épaules.

–      J'ai pas très faim, j'explique sans oser la regarder en face.

   Comment lui expliquer que Jared vient de me parler à l'instant et que l'attirance que j'ai développée en Floride est toujours présente. Malgré moi.

–      C'est moi ou Jared Parks te mate ? chuchote Maia en riant.

   Je m'étouffe avec la gorgée d'eau que je viens d'avaler.

–      Ça m'étonnerait.

–      Si, si. Je te jure qu'il te mate !

   Je l'ignore tout en croquant dans ma pomme. Elle est excellente. Ferme et juteuse, comme je les aime. Et merde. Je m'efforce de penser à ma pomme, rien d'autre qu'à ma pomme, mais la curiosité prend le dessus. Je jette un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule, ce que je regrette aussitôt. Le visage de Jared trahit des émotions que je ne lui connais pas : hostilité et colère. Même assise, je sens mes jambes devenir molles sous l'effet de l'angoisse montant progressivement en moi. Déstabilisée par sa réaction, je me retourne et m'abrite derrière mes cheveux. Je ne parviens pas à me détendre une seule seconde. En sortant, je prends grand soin d'éviter de me tourner vers sa table.

   Il me déteste, c'est certain.

À corps perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant