À corps perdu

Chapitre 18 : Caméléon

Nous avançons timidement vers les garçons jusqu'à arriver à leur hauteur. Moi qui ne voulais pas recroiser Jared de la journée, on dirait que le destin en a décidé autrement.

Fichu destin !

- Salut, les filles !

Dylan - dont le timbre de voix et tout aussi impressionnant que son corps - s'approche et fait la bise à Maia. Celle-ci devient écarlate. À l'opposé, Jared ne bouge pas d'un poil. Il s'attarde moins d'une seconde sur ma colocataire, avant de m'aviser d'un mauvais œil. Je détourne les yeux, penaude. Ça y est, monsieur est de nouveau contrarié. Je l'ignore. Difficilement. Pour ne pas changer, je cède et lui jette un coup d'œil à la dérobée. Cette fois-ci, c'est une expression mélancolique qui empreint son visage. Je me demande bien ce qui le rend aussi morose. Soudain, ses yeux croisent les miens. Presque instantanément, je me sens chavirer. Je déteste l'effet qu'il me produit, il est tout simplement incontrôlable. Heureusement, il baisse la tête avant que je parvienne à trouver la force suffisante pour le faire. Embarrassée par la situation, je me mets à détailler mes mains, faisant mine de ne pas le voir.

- Tu as réfléchi à mon invitation ? demande gentiment Dylan à Maia.

Elle se met à jouer nerveusement avec le bracelet à son poignet.

- Tu auras bientôt ta réponse, murmure-t-elle.

Sous ses airs de fille réservée se cache une petite aguicheuse, plutôt maligne. Sa façon de le contempler est transparente - elle semble beaucoup plus charmée qu'elle ne me l'a souvent répété. Il n'est pas exactement le type de garçon auquel je m'attendais mais ils se plaisent, ça crève les yeux. La question est de savoir qui fera le premier pas.

Dylan se tourne subitement vers moi, comme s'il venait de se rappeler de ma présence.

- C'est toi Abby ?

Je fais oui de la tête. Un éclair de lucidité traverse ses pupilles, puis il s'écrie :

- Hé, tu ne m'as pas dit qu'elle est autant canon !

Hein ? Jared lui a parlé de moi ?

Si le regard pouvait tuer, Dylan n'aurait certainement pas survécu à la haine dans les yeux de Jared.

- Ferme-la.

Dylan part dans un puissant fou rire malgré l'avertissement de son ami. Quant à moi, je ne sais plus où me mettre. Si je pouvais m'enfoncer dans le sol, je le ferais sur le champ.

- Allez, mec. Détends-toi, respire.

Jared lève ses yeux au ciel puis, dans un mouvement imprévu, il part en trombe en nous ignorant royalement.

- C'est rien, dit Dylan en poussant un long soupir. Il a juste besoin d'être seul.

J'imagine déjà la tête stupéfaite que je dois avoir en me tournant vers lui. Pourtant, je le crois sur parole. De toute évidence, il le connaît beaucoup mieux que moi.

Maia me donne un petit coup de coude en m'interrogeant du regard. Si elle compte sur moi pour lui expliquer la scène que vient de faire Jared, elle va être déçue car, moi-même, je n'ai aucune idée de ce qui vient de se passer. À vrai dire, son comportement lunatique me dépasse.

Quand nous retournons dans notre chambre, je m'installe directement à mon bureau. Je commence à sortir mes livres et mes notes pour me mettre au travail, mais je décide d'abord de répondre au mail de ma mère et, par la même occasion, d'en savoir un peu plus au sujet de l'ambiance à la maison. Même si je fais tout pour ne pas y penser, l'appel d'Eïleen n'a fait qu'éveiller mon inquiétude. J'ai besoin d'être rassurée.