LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux Royaume

Chapitre 5 : La mission

          Sur le rivage des terres Pontificales, le soleil se couche derrière la mer de l'Ouest. La Sainte Cité prend les couleurs pâles et blêmes de la nuit, éclairée par les premières étoiles du soir. Les alentours de la place principale sont aussi visibles qu'en plein jour, mais l'atmosphère qui s'en dégage paraît beaucoup plus froide et austère. Keith traverse ce grand espace architectural en longeant l'entrée des temples pour rejoindre le quartier des dortoirs. Il enjambe agilement un petit portillon et se retrouve dans la cour où on lui avait déposé ses affaires le jour de son arrivée. Cependant Keith décide ce soir-là de ne pas rejoindre directement sa chambre. Le jeune apprenti se dirige cette fois-ci vers le compartiment des prêtres mentors en accélérant le pas. Il rabat le capuchon de sa robe pour se faire plus discret et s'approche du bâtiment couvert de lierre. Puisque la chambre du maître Grimmor est surveillée par les gardes imperturbables, le seul moyen pour s'infiltrer à l'intérieur est d'escalader les balcons. Il pourra ensuite facilement atteindre les fenêtres de la chambre.
      Keith prend son élan et s'agrippe à une liane contre le mur végétal. Celle-ci craque sous son poids et le fait tomber par terre. Il se relève rapidement en frottant sa coule comme si de rien n'était, puis regarde aux alentours pour s'assurer que le bruit de sa chute n'ait alerté personne. Escalader cette façade est décidément plus complexe qu'il ne l'avait imaginé. Le jeune apprenti s'éloigne du mur afin de trouver une autre solution pour grimper. La liane qui semble être la plus solide mène à une fenêtre adjacente à celle de Grimmor. Keith pourra sauter d'un balcon à un autre une fois arrivé à cette fenêtre. L'apprenti prend une grande inspiration et s'élance une dernière fois sur le mur végétal du bâtiment. Il parvient cette fois-ci à atteindre la liane la plus solide. Cette dernière reste solidement accrochée au mur. Keith poursuit son escalade et se hisse jusqu'au balcon. Essoufflé par l'effort, il se laisse basculer par-dessus la balustrade et choit sur la terrasse. La fenêtre de ce même balcon s'éclaire. Keith coupe sa respiration et se précipite dans un coin d'ombre pour se dissimuler. Son arrivée n'a pas été très discrète. La panique d'être vu l'incite à sauter du premier étage mais la peur le pétrifie. L'apprenti tente de reprendre son calme et jette un coup d'œil à la fenêtre pour savoir ce qu'il se passe. Il aperçoit le prêtre Mashir. Keith se mord la lèvre jusqu'à en avoir mal. Si Mashir le voit ici à cette heure-là, il risque d'avoir de sérieux ennuis. Le jeune élève sent la panique l'envahir de plus belle.
      Mashir s'avance près de la fenêtre. Il l'ouvre et passe sa tête au-dessus du balcon. Cette fois-ci, Keith ne contient plus la tension émotionnelle que lui procure la peur d'être repéré, et bascule instinctivement par-dessus le muret du balcon. Il se retrouve suspendu à la balustrade, les pieds dans le vide. Si un garde passe devant la façade du bâtiment, il le verra sans difficulté. Il est accroché au balcon comme un linge étendu à une fenêtre. Mashir prend une grande bouffée d'air. Il s'accoude à sa fenêtre et contemple l'horizon. Il n'a apparemment pas remarqué la présence du jeune élève. Keith sent les muscles de ses bras se tendre jusqu'à lui faire atrocement mal. Il continue tout de même à s'accrocher le plus fort possible au rebord des balustres pour ne pas tomber. Ses mains commencent à glisser. Des gouttes de sueur coulent le long de ses tempes. Une araignée sortie de nulle part descend subitement le long de son bras et passe sous sa manche. Il s'efforce de ne pas crier en retenant sa respiration.
      Soudain, la voix d'un garde s'élève dans les appartements de Mashir. L'apprenti est trop préoccupé par ses muscles endoloris qui le supplient de lâcher prise, et la bestiole qui lui chatouille désormais le coude, pour écouter les paroles de ce dernier. Il distingue cependant le juron que lâche le prêtre Mashir avant que celui-ci ne parte précipitamment de ses appartements en claquant les volets de sa fenêtre. Keith se retrouve à nouveau seul dans le silence de la nuit, rompu par le chant des criquets. Il utilise le peu de forces qui lui restent pour remonter sur le balcon avec l'aide de ses pieds, et reprend enfin sa respiration en se secouant dans tous les sens pour faire sortir l'arachnide de sa manche. Il colle ensuite une oreille contre les volets pour s'assurer que plus personne ne se trouve dans les appartements de Mashir. Pas un bruit ne sort de la chambre. Quelle nouvelle le garde a-t-il bien pu apporter à Mashir pour le mettre dans cet état ? La réponse à cette question est le cadet de ses soucis. Keith se contente d'esquisser un petit sourire d'excitation à l'idée d'avoir réussi à grimper jusqu'ici sans être vu. Il ne lui reste plus qu'à atteindre le balcon des appartements du prêtre Grimmor.
      Keith évalue la distance à franchir pour arriver au second balcon. L'écart est plus grand que prévu et le jeune apprenti ne peut pas prendre d'élan pour sauter à cause de la balustrade. Il grimpe alors sur le muret en pierres et se tient debout. Il fléchit les jambes en essayant de garder son équilibre et met ses bras en arrière. S'il rate le balcon suivant, il fera une chute du premier étage et se retrouvera la tête la première dans un arbuste avec les pieds en l'air. Keith lâche un soupir, réalisant la dangerosité de ce qu'il s'apprête à faire. Maintenant qu'il est là, autant essayer. Il pousse sur ses jambes avec détermination pour réaliser un saut d'extension et jette ses bras en avant pour s'élancer vers le balcon. L'action se réalise en une fraction de seconde, mais paraît durer une éternité pour Keith. Ses mains viennent se poser sur le rebord de la balustrade voisine comme si la prise était faite pour ça. Il n'aura plus qu'à se hisser par-dessus le muret du balcon. Son élancée acrobatique lui a cependant fait oublier ses courbatures aux bras. A peine a-t-il touché le bord du balcon que le poids de son corps l'entraîne au sol, la tête la première dans un arbuste.