Au bout des grands champs dorés de la capitale se trouvent les portes de la cité du Haut Royaume, encadrées par les trois cours d'eau qui s'échappent de la ville. Le palais surplombe la vieille ville au sommet des falaises. Merina braque une longue-vue sur les soldats au pied de la forteresse, accroupie pour ne laisser que sa tête dépasser des hautes tiges de blé.
Sur le sentier de terre qui longe les plantations, la charrette des voyageurs se tient à l'arrêt, deux chevaux accrochés aux brancards. Theod fouille une dernière fois le convoi pour s'assurer de n'avoir rien oublié d'utile. Les marchands possédaient de nombreuses armes, mais celle-ci étaient en très mauvais état. L'orpheline en a quand même profité pour récupérer quelques lames et munitions. L'héritier, quant à lui, a surchargé son sac à dos de provisions et de gourdes d'eau. Une fois son furtif passage au Haut Royaume terminé, il devra fuir la ville au plus vite pour ne pas être arrêté par les gardes.
Le soleil descend peu à peu sur l'Ouest. Theod saute de la carriole, quelques sucreries à la main. Un bandage entoure sa tête en passant sur son nez cassé. Merina rétracte la longue-vue et lâche un rictus.
— Tu n'as pas assez de nourriture dans ton sac ? Où comptes-tu aller après ?
Si « après » signifie « une fois que son oncle Winterbridge sera assassiné », l'héritier préfère ne pas s'attarder sur la question.
— Les terres de Vif-Azur, répond-il sèchement.
La jeune fille prend un air faussement impressionné, une grimace sarcastique collée sur le visage.
— Quel aventurier ! Il va se frotter aux montagnes. Tu feras attention à ne pas te prendre une avalanche, ça peut tuer.
Theod ne répond pas et dépose le cadavre des marchands dans la carriole, un à un.
— Si tu veux mourir, reprend Merina, je peux te dénoncer aux gardes. Vu la belle somme que je peux me faire sur ta tête, c'est donnant-donnant.
Theod lâche à son tour un rictus, nerveux.
— Que vas-tu faire avec tout cet argent ? Si seulement ça pouvait te pousser à jeter tes armes à la mer.
— Je m'achèterai une barbe convaincante, s'exclame-t-elle.
L'héritier la dévisage sans esquisser l'ombre d'un sourire. Il n'est pas d'humeur à rire. La jeune fille glisse une mèche de cheveux entre sa bouche et son nez. Une moustache se dessine sur ses joues. Elle poursuit avec de grands gestes théâtraux, la voix la plus grave possible.
— Je deviens le héros qui a vaincu l'assassin des rois, en livrant l'affreux William Kettbell aux nobles de la Cour. J'épouse son Altesse Deryn du haut de son donjon et je deviens roi. Je pourrai faire ce que je veux, quand je veux. Ça ne serait pas un conte merveilleux, dis donc ?
Theod ne bronche pas devant les enfantillages de l'orpheline. Le soleil s'apprête à se coucher et ils n'ont plus beaucoup de temps pour se préparer.
— Elle doit s'ennuyer dans son palais, reprend-elle avec un sourire narquois. Mais bon. Enfermée avec autant de nobles désireux, peut-être a-t-elle de quoi se divertir. J'espère pour elle qu'ils ne sont pas tous vieux et gâteux.
L'héritier sent la colère monter. La jeune fille a dû s'apercevoir qu'aborder le sujet de sa sœur le met vite en rogne. Theod perd de sa délicatesse et envoie brutalement le dernier cadavre dans le chariot.
— L'assassin s'énerve, constate l'orpheline. Sauvez-moi, il va aussi me jeter parmi ses victimes.
— C'est l'heure, l'interrompt Theod. Allons-y, qu'on en finisse.
Merina cesse ses chamailleries, imitant discrètement le ton sec du jeune homme.
— A vos ordres, monsieur l'assassin.
Elle lance un dernier signe de prière aux pauvres âmes entassées dans le convoi et sort un pistolet de sa ceinture. Les chevaux s'élancent au galop, effrayés par la détonation de l'arme. La carriole s'élance sur le sentier en direction des portes de la ville, laissant derrière elle une trainée poussiéreuse de sable.Le soleil couchant à l'horizon éblouit les soldats fatigués par la journée. Quelques gardes sur les murailles commencent à allumer les torches pour préparer les postes de guets réservés à la nuit. Un hennissement déchire le silence paisible du crépuscule et réveille les militaires somnolents. Les yeux se plissent pour discerner ce qu'il se passe, éblouis par les dernières lueurs du jour. Une carriole tirée par deux chevaux fonce droit sur eux à toute allure. Les gardes s'empressent de se placer en ligne pour stopper les bêtes effrayées. Un peu d'action n'est pas de refus pour les aider à tenir jusqu'à la fin de la journée. Des marchands ont dû perdre le contrôle de leur charriot. Le désordre sur la voie publique est sanctionné. Les soldats pourront s'amuser un moment à remonter les bretelles des voyageurs avant de les menacer d'une amende.
La carriole sans conducteur s'arrête aux portes de la capitale. Les gardes caressent la crinière des chevaux pour tenter de les apaiser. Aucun voyageur n'est visible aux alentours. Un garde s'approche de l'arrière et tire d'un coup sec la toile qui recouvre la charrette. L'expression de son visage passe par toutes les couleurs avec un haut-le-cœur. Des cadavres sont soigneusement alignés dans la carriole.
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LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux Royaume
FantasyLe système monarchique du Vieux Royaume s'affaiblit et se retrouve vite sous l'emprise des conspirateurs. Deryn, l'héritière du trône, tente en parallèle de rétablir la paix entre les grandes puissances. Les habitants du royaume, découragés par la...