Une légère brise caresse les couches de sable à la lisière du désert. Theod écoute paisiblement le cours d'eau ruisseler entre les dernières collines d'or des terres arides. Il contracte les muscles de ses paupières. Le soleil est déjà haut dans le ciel. Il n'a pas ouvert un œil depuis qu'il est allongé sur le sol. Le jeune héritier ne sait ni où il est, ni pendant combien de temps il s'est endormi. Ces questions lui importent peu. Il ne s'est jamais senti aussi bien. Ses douleurs dorsales ne lui font pas mal et sa respiration est inhabituellement silencieuse. Theod en profite pour inspirer une grande bouffée d'air, comme libéré de son corps malade. Il se sent léger et agile mais comprend très vite que paradoxalement, il n'arrive pas à bouger les membres de son corps. Encore une fois, cela lui importe peu. Il n'a nullement l'intention de se lever.
Des bruits de pas viennent troubler le repos du prince. Une ombre se glisse devant lui et cache son visage du soleil. Theod reste silencieux, les yeux toujours clos. Quelques souvenirs de la veille refont surface. De mystérieuses ombres semblaient tourner autour de lui, mais elles ne ressemblaient pas à celle-ci. L'héritier se souvient avoir beaucoup souffert cette nuit. Il observait la cité du Haut Royaume briller au loin sans comprendre où il était. Beaucoup d'images incompréhensibles émergeaient dans sa tête, notamment celle d'un étrange collier décoré d'une perle bleue.
Une voix bourrue s'élève au-dessus de sa tête.
- Viens voir ce que j'ai trouvé !
Theod conclut que l'ombre penchée sur son visage est celle d'un homme. Un second inconnu le rejoint en courant sur le sol terreux. Il s'arrête malencontreusement sur une flaque de boue qui longe le ruisseau. Les éclaboussures giclent sur le visage de Theod. Celui-ci commence à perdre patience, mais sans savoir comment réagir. Son corps ne lui répond pas quoiqu'il en soit.
- Tu crois qu'il est mort ? reprend la voix bourrue.
Le second inconnu lui répond avec une voix plus rauque.
- Les patrouilles font sûrement leurs règlements de comptes vers la frontière avec le désert, maintenant. Ils ont dû le tabasser et le jeter dans le ruisseau. Mais c'est étrange, son visage ne me dit rien.
Theod reste immobile, les yeux fermés. Peut-être qu'en faisant le mort, les deux inconnus le laisseront tranquille. Un coup de pied inattendu percute soudainement ses côtes. L'impact le fait rouler sur le ventre. Un gémissement de douleur s'échappe de sa bouche. Il ne s'attendait pas à une telle violence, mais l'essentiel est de s'apercevoir que son corps n'est pas totalement inerte.
- Un coup dans le ventre et le voilà de retour parmi nous ! s'exclame la voix rauque.
Les deux inconnus se mettent à rigoler à plein poumons. La joue de Theod est plaquée contre le sol boueux. Il se décide enfin à ouvrir les yeux et aperçoit une charrette tirée par une étrange monture qu'il n'avait jamais vu auparavant. Un vieil homme, sûrement aussi âgé que l'animal, conduit la carriole. L'héritier croise les doigts pour que tout ceci ne soit qu'un étrange rêve.
- Le vieux à la charrette ! s'écrie la voix bourrue. Choppez-le les gars, il ne doit pas s'enfuir cette fois-ci !
Quatre autres hommes apparaissent dans le champ de vision de Theod et encerclent la charrette. Les deux premiers inconnus se précipitent vers leurs compagnons en piétinant la flaque de boue et éclaboussent une nouvelle fois le visage de l'héritier. Ils s'arrêtent à quelques pas du vieux cocher avec un air menaçant.
- Tu oses encore t'aventurer par ici, vieillard ? menace l'un d'eux. Tu vas payer pour la semaine dernière !
Le vieillard descend calmement de sa carriole et sort un long bâton de ses affaires. Les hommes qui l'encerclent font un pas en arrière.
- Ce que vous avez trouvé m'intéresse, dit-il. J'aimerais récupérer ce garçon.
Les deux premiers inconnus jettent un furtif regard vers Theod.
- Il ne t'appartient pas, lance la voix rauque. Recule ou je te poignarde !
Il sort un couteau de sa poche et fait signe à ses compagnons d'allumer une torche.
- On va enflammer ta fichue charrette ! reprend-il. En espérant que ta maudite bête de somme brûle avec !
Le vieil homme jette soudainement son bâton à la façon d'un javelot sur l'homme à la voix rauque. Ce dernier s'écroule, le souffle coupé. Le vieillard sort un second bâton de ses affaires et le tend vers celui qui tient la torche allumée.
- Ne vous avisez pas de menacer ma vieille bête, retorque-t-il. Vous pourriez le payer de votre vie.
Un autre fait signe d'enflammer la charrette. Son compagnon s'exécute. Le vieil homme tape en plein vol la torche avec son bâton et l'envoie sur l'un des agresseurs.
- Ne le laissez pas s'enfuir ! s'écrie la voix bourrue. Nous devons en finir avec lui pour de bon !
Une masse percute le brigand. Le vieillard lance un regard étonné. Theod vient de se lever et de sauter sur l'homme à la voix bourrue.
- Tu vas mourir toi et tes monstres ! s'écrie un des compagnons en dévisageant Theod.
Le vieillard lance son second bâton qui frappe l'inconnu de plein fouet. Il s'écroule sur le sol comme le premier. Les deux derniers agresseurs prennent peur en voyant leur chef à terre et décident de fuir au pas de course. Le vieil homme ramasse ses deux bâtons en grommelant et assomme l'homme que Theod immobilise sur le sol.
- Ils voient bien que ce sont eux qui fuient tout le temps, pas moi, grogne-t-il.
Le cocher remet ses affaires en ordre dans sa charrette et caresse tendrement son vieil animal qui n'a pas bougé d'un poil. Il se tourne vers Theod qui est toujours couché sur l'inconnu assommé.
- Tu peux te relever, rassure-t-il. Ce malheureux ne risque pas d'aller bien loin désormais.
Theod reste immobile. Sa joue est cette fois-ci plaquée contre le buste de l'agresseur achevé.
- Je crains que je ne puisse plus me relever, lance-t-il.
Il se racle soudainement la gorge, ne reconnaissant pas sa voix. Tout lui semble étrange et dénué de sens. Son corps ne lui répond toujours pas. Le vieil homme s'esclaffe de rire.
- Je t'ai vu te jeter héroïquement sur ce malheureux. Ne me fais pas croire que tu ne peux plus te relever.
Theod soupire, agacé.
- Et pourquoi devrais-je me relever, après tout ? Je me sentais bien avant que vous veniez troubler mon repos. Comment se fait-il que des impolis arrivent à me déranger, même en plein milieu du désert ?
Le vieux cocher continue de rigoler à plein poumons.
- Mille excuses, mon seigneur, ironise-t-il sur un ton faussement aristocrate.
Il attrape les cheveux de l'héritier et soulève sa tête pour la diriger vers l'Ouest.
- On dirait que vous n'avez pas bien regardé où vous étiez, reprend-il.
Theod découvre avec étonnement un regroupement de maisons installées aux alentours du ruisseau. Il n'avait pas remarqué la présence du petit village, comme si celui-ci était apparu par magie. Le jeune prince prend progressivement conscience du monde qui l'entoure.
La roue d'un moulin à eau installée entre les baraquements retient son attention. Elle est tenue par deux tours construites sur chaque rive du cours d'eau, reliées par une fine passerelle en guise de pont. Theod n'avait jamais vu une telle architecture, ni même dans la vieille ville du Haut Royaume. Il écarquille les yeux, sans comprendre où il se trouve.
Le vieil homme remarque que Theod ne réagit pas. Tout son corps semble inanimé. Il lâche les cheveux du paraplégique et celui-ci s'écroule une nouvelle fois sur le buste de l'inconnu assommé. Le cocher perd son humeur moqueuse et laisse place à l'incompréhension.
- Comment se fait-il que tu aies réussi à te lever tout à l'heure ?
- Je ne sais pas, répond Theod. Cet homme m'énervait plus que les autres, je voulais qu'il se taise.
Le vieillard caresse un instant sa barbe blanche, puis attrape l'hériter par la taille pour le déposer sur sa charrette comme un vulgaire sac de blé.
- Qu'est-ce que tu fais ? interroge Theod. Je veux rester seul.
- Ce serait ridicule de te laisser ici, répond calmement le cocher.
- Tu as dit à ces hommes que je t'intéressais. Pourquoi ? Que me veux-tu ?
- Je m'intéresse à tout ce qui m'intrigue. Tu as déjà vu un paraplégique abandonné à la lisière du désert ? Moi, ça m'étonne.
Le cocher s'esclaffe à nouveau de rire. Il saute sur sa carriole et ordonne à son étrange animal d'avancer. La charrette se met à rouler difficilement sur le sol terreux.
- Où m'emmènes-tu ? questionne Theod.
Le vieillard pointe le village du doigt.
- Là-bas ! lance-t-il. Je t'emmène chez moi pour te remettre sur pied. Tu ne peux pas me faire croire que tu es véritablement paralysé avec le corps d'athlète que tu as.
Theod rigole nerveusement en manquant de s'étouffer.
- Quand cesseras-tu de te moquer de moi, vieil homme ? Je n'ai rien d'un athlète. Mon corps m'handicape depuis ma naissance. Ça ne m'étonne pas que je finisse dans cet état-là.
Le cocher jette un œil sur l'héritier et ricane silencieusement.
- Je suis tombé sur un drôle d'oiseau, murmure-t-il.
Theod soupire. Il ne se souvient pas de ce qu'il s'est passé pour se retrouver si loin du Haut Palais. Tout semble bien trop réel pour penser que cette histoire ne soit qu'un simple rêve. Il essaie de se tourner vers le cocher mais seule sa tête se décide à pivoter.
- Ces hommes avaient l'air de vous connaître et en avaient après vous. Que leur avait vous fait ?
Le vieillard répond en gardant les yeux fixés sur la route.
- Ils font partie des groupes de bandits qui sévissent dans la ville. Ils empêchent les habitants de vivre en paix. Alors je les bouscule de temps à autres pour les tenir à l'écart.
- Comme « la semaine dernière » ? demande Theod en reprenant les mots d'un des malfrats.
- J'ai incendié une partie de leurs récoltes, annonce-t-il. Ces malheureux préparaient une attaque contre les marchands venus du nord-est. Je les ai distraits pour sauver le commerce de la ville, voilà tout.
L'héritier reste silencieux un instant. La charrette continue d'avancer doucement vers les maisons. Ce que le cocher appelle « la ville » ne fait pas un quart de la superficie du Haut Royaume. Les malfrats étaient pauvres et indisciplinés. Rien ici ne rappelle à Theod le palais de la capitale.
- Et votre animal ? reprend-il. Qu'est-ce ? Les hommes le qualifiaient de monstre.
Le vieillard pouffe de rire encore une fois.
- C'est un âne ! grommelle-t-il. Tu n'en as donc jamais vu ? Ces braves bêtes sont fidèles et courageuses. Il ne vaut mieux pas les sous-estimer.
- Alors pourquoi « monstre » ? répète Theod.
Le vieux cocher renifle grotesquement.
- Ils parlaient de mes fils. J'élève les orphelins de la ville qui se retrouvent seuls dans les rues. Ils les qualifient ainsi simplement parce que je les éduque de sorte à ce qu'ils ne se retrouvent pas embrigadés par les hors-la-loi. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à leur donner une chance de survivre dans ce bas monde.
Theod s'apprête à poursuivre ses questions, mais le vieillard lui coupe la parole.
- Nous entrons dans la cité ! s'exclame-t-il. Je te souhaite la bienvenue dans la ville du Moulin Grincheux !
Theod tourne la tête en entendant le moulin à eau grincer entre les deux tours.
- Au fait, je ne me suis pas présenté, reprend le vieillard. Ici les habitants m'appellent Isham. Je suis le vieux forgeron de la ville. Je vais t'aider à te rétablir à condition que tu me racontes ton histoire. Tu pourras partir après quand tu voudras !
L'hériter hoche de la tête. Il n'a pas vraiment le choix de refuser vu son état. Mais que racontera-t-il ? Il est impossible de se rappeler de son arrivée ici et Isham ne le croira pas s'il avoue être l'héritier du Haut Palais. Mieux vaut écouter plutôt que parler pour l'instant.
Dunes de sables.
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LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux Royaume
FantasíaLe système monarchique du Vieux Royaume s'affaiblit et se retrouve vite sous l'emprise des conspirateurs. Deryn, l'héritière du trône, tente en parallèle de rétablir la paix entre les grandes puissances. Les habitants du royaume, découragés par la...