Chapitre 10 : Les conspirateurs

20 5 4
                                    

          Maynard Campbell se blottit au fond de son fauteuil et entoure sa blessure avec un ruban blanc. Il tire une grimace. Son épaule ensanglantée lui fait atrocement mal. Jesse Darleston, les pieds posés sur la table, regarde le bibliothécaire du Haut Royaume se soigner maladroitement. Près de lui, le jeune Thomas Elsheman regarde par-dessus la fenêtre, pensif. Les trois acolytes restent silencieux, laissant le doux vent du désert souffler contre les rebords du balcon. Jesse sort de sa poche un petit bâton creux en bois et le remplit de feuilles sèches. Il attrape ensuite une bougie posée sur la table près de ses pieds et enflamme le bout du bâton en crapotant l'extrémité. Un nuage de fumée se forme au-dessus de sa tête, puis s'échappe progressivement par la fenêtre. Maynard, agacé, dévisage son ami fumer paisiblement sans aucun scrupule.
      - Quelle honte ! s'exclame-t-il. Comment peux-tu rester là, pieds sur la table et cigare à la main, à me regarder sans m'aider ? Tu vois bien que je n'arrive pas à soigner ma plaie ?
    Jesse lance à Maynard un petit sourire amusé et enlève ses pieds de la table. Il se lève de son fauteuil et s'avance vers lui.
      - Et enlève moi ce sourire béat de ton visage, vaurien ! reprend Maynard. Je peux savoir ce qui te fait tant rire ? Je t'aurais bien vu à ma place...
    Jesse prend le ruban blanc et le serre brusquement autour de l'épaule du bibliothécaire. Celui-ci pousse un gémissement de douleur en tapant du poing sur l'accoudoir de son fauteuil.
      - Tu me le paieras, chien ! s'écrit Maynard.
    Jesse répond à son ami avec calme.
      - Tu devrais te considérer chanceux que Scott Lane n'ait pas réussi à te porter un coup fatal. C'est un très bon tireur.
      - Chanceux ? répète Maynard avec son air grincheux. Non seulement son arrivée m'a fait rater l'assassinat de notre chère Deryn, mais en plus de ça, ce misérable a réussi à me marquer d'une balle dans l'épaule. Il va me retrouver à coup sûr ! Je serais très étonné d'apprendre que beaucoup de nobles aient la même plaie...
      - Ne t'en fais pas, Maynard, lui répond Jesse. Nous la camouflerons et Lane ne remarquera rien. A part s'il compte vérifier l'épaule gauche de tous les nobles.
    Il se met à rigoler. De l'autre côté de la pièce, Thomas détache son regard de la fenêtre et se tourne vers ses deux camardes. Jesse cesse aussitôt ses ricanements et le regarde s'avancer vers la table avec un air sombre.
      - Jesse, l'interpelle-t-il. Comment Lane a-t-il pu suivre Deryn ? Ton rôle était de le retenir dans le sanctuaire. Winterbridge non plus n'a rien fait ?
    Maynard se retourne d'un coup vers Jesse avec un air enragé.
      - C'est toi, chien ! crache-t-il à Jesse. Tu n'as pas fait ta part du travail ! Tu vas me le payer !
    Thomas l'interrompt d'un coup et fait signe à Jesse de prendre la parole.
      - Winterbridge et moi-même avons suivi le plan à la lettre, explique-t-il. Nous avons d'abord été surpris de voir le commandant veiller en priorité sur Deryn plutôt que sur Theod. Quand l'héritier a quitté la salle, il a simplement demandé à des gardes de le suivre. Winterbridge l'a rejoint pour troubler son attention, mais un soldat est venu les interrompre. Scott Lane en a tout de suite profité pour se faufiler dans la foule. Je n'ai pas réussi à le rattraper, comme s'il savait que nous lui tendions un piège.
      Thomas garde la tête baissée, en pleine réflexion. La salle devient silencieuse. La fumée du cigare de Jesse s'accumule au plafond. Le vent ne souffle presque plus contre le rebord du balcon. Thomas finit par relever sa tête pour plonger son visage entre ses mains.
      - C'est une imprévue regrettable, dit-il. Lane doit maintenant se douter que le roi Kyan a été empoisonné pendant la cérémonie. Sachant qu'il est question d'une véritable organisation contre la lignée royale, il va redoubler de vigilance et Deryn sera surveillée en permanence. Nous devons renoncer à éliminer notre jeune altesse car si l'un de nous se fait arrêter, nous sommes tous pris au piège. Cette première attaque directe contre les enfants du roi a déjà été une prise de risque considérable.
      - Nous ne pouvons pas l'épargner ! surenchérit Maynard. Il faut en finir avec la lignée royale ! Il suffit qu'elle soit mariée à un noble pour que le Haut Royaume retombe sous une monarchie fidèle aux terres Pontificales.
      - Maynard a raison, répond Jesse. Nous devrions nous assurer que la lignée royale soit éteinte pour de bon. Il est sûrement possible de corrompre quelques servants pour l'éliminer. Nous n'aurons plus qu'à les exécuter à leur tour pour effacer toutes preuves.
      - Dans ce cas, les servants ne doivent surtout pas être en contact avec les gardes du palais, précise Thomas. Les soldats ne trahiront malheureusement jamais leur fidèle commandant. Ils nous dénonceront dès qu'ils se douteront de quelque chose.
      - Les cuisines ! l'interrompt Maynard. Les cuisines ne sont pas fréquentées par les gardes et les plats de Deryn pourront facilement être empoisonnés.
    Jesse reste silencieux. Il ne semble pas avoir d'autre proposition à exposer.
      - Nous verrons comment Lane organisera le palais après l'enterrement de Theod, répond Thomas. N'agissons pas dans la précipitation, nous étions à deux doigts de réussir notre plan. Il serait dommage d'échouer maintenant. Sachez que désormais, les gardes seront aux aguets. Alors ne tentons aucune action suspecte. Prenons le temps de partager le chagrin de Deryn ! Elle vient de perdre un père et un frère.
      Maynard lâche un petit ricanement. Jesse inspire une bouffée de fumée avec son cigare et se tourne vers Thomas, un sourcil levé.
      - Dis-nous Thomas, lui demande-t-il. Comment as-tu fait pour assassiner Theod sans te faire arrêter ? Certes, Scott Lane n'était pas avec lui comme prévu, mais une poignée de soldats le suivait aux aguets.
      Maynard dévisage Thomas. Il semble partager le questionnement de son ami. Elsheman allume son cigare, comme s'il voulait maintenir le suspens.
      - Cela n'a pas été si simple, explique-t-il. Je l'attendais dans ses appartements, comme convenu. Je lui avais précisé que je tenais à le voir seul, sans penser qu'il allait me prendre au sérieux. Theod a ordonné aux gardes de rester à l'extérieur avant d'entrer. Il n'y avait avec moi que son valet, que je me suis empressé de menacer. Je lui ai ordonné d'attaquer l'héritier quand celui-ci a fait irruption dans ses appartements. Cela dit, Theod a réussi à se défendre, ce qui a ajouté une nouvelle imprévue à notre plan.
      Jesse et Maynard attendent la suite avec impatience. Thomas tire une longue bouffée de son cigare, le regard grave.
      - Je me suis empressé de le bâillonner pour ne pas que les gardes soient alertés, puis j'ai fini le travail moi-même.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant