Chapitre 25 : Nouvelle identité

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Un collier décoré d'une perle bleue scintille autour du cou de la jeune fille. D'étranges tatouages, des bras jusqu'à aux épaules, disparaissent dans son dos. Son visage n'est pas perceptible. Elle marche de long en large sur un sentier boueux qui ne ressemble en rien aux paysages du Vieux Royaume.

Theod se réveille en sursaut. Il se redresse avec agitation comme s'il avait été en apnée tout au long de son sommeil. L'image de cette fille au collier bleu hante encore ses pensées. Il ne l'a pourtant jamais vue auparavant.Qui est-elle ? Existe-t-elle réellement ? Que lui arrive-t-il ses derniers jours ? Il semble ne plus distinguer ses rêves de la réalité.
Le jeune prince sursaute une seconde fois à la vue des draps de son lit. Le tissu grossier et terne n'a rien de comparable avec les draps de soie du palais. Theod s'empresse de regarder autour de lui.Rien ne lui rappelle sa chambre royale au Haut Palais. Les murs sont faits de pierres et de bois et aucune décoration n'est installée pour embellir la pièce.Une simple chaise occupe l'espace. Elle est posée face à un miroir suspendu à une petite table. Une fenêtre est cachée derrière deux rideaux. Seuls quelques faisceaux lumineux venus de l'extérieur parviennent à éclairer la porte fermée de la chambre.
Le jour semble s'être levé depuis un bon moment. L'héritier plonge son visage entre ses mains avec une humeur agacée.Le voilà à nouveau réveillé dans un lieu inconnu sans qu'il puisse se rappeler des journées précédentes. Si Theod se fiait encore aux histoires de sorcellerie comme quand il était enfant, il serait prêt à croire que son esprit a été piégé dans une boucle temporelle infernale.
Theod passe ses mains sur ses tempes en essayant de se rappeler de quelque chose. Il constate avec émerveillement qu'il peut à nouveau bouger ses membres. Son corps et son esprit ont l'air de s'être enfin mis de nouveau en accord. Sa paralysie n'a peut-être été au final qu'une simple illusion onirique. Toute cette histoire de brigands et de vieux cocher est sûrement issue d'un mauvais rêve. Il s'étire en levant les bras vers le plafond,puis esquisse un sourire. Sa condition physique paraît étrangement athlétique.
L'hériter lève les yeux. Des poutres en bois verni soutiennent la structure du toit. L'architecture de la salle n'a pas le même aspect que celle du Haut Royaume. Elle semble plus précisément inspirée des styles archaïques de l'Ouest. Si Theod est bel et bien à la lisière du désert, la cité royale du Vieux Royaume se trouve alors à plusieurs lieues d'ici. Le palais entier doit être au courant de sa disparition à l'heure qu'il est. Le jeune héritier tourne ses pensées vers sa sœur Deryn. Il l'a revoit en plein chagrin dans le mausolée des rois. Comment a-t-il pu oublier un seul instant la mort de son père Kyan ? Les pleins pouvoirs du trône devaient lui être attribués après les regrettables funérailles du souverain. Il n'a cependant aucun souvenir de son couronnement. Aurait-il réussi à s'enfuir du Haut Palais avant de devenir roi ? Il n'aurait pas pu oublier sa fugue,sauf s'il lui était arrivé quelque chose qui lui aurait fait perdre la mémoire,mais cela paraît invraisemblable. Deryn est maintenant seule au royaume. Theod est persuadé qu'elle arrivera à faire sa place parmi les nobles de la cour. Il aurait aimé lui dire au revoir une dernière fois avant de partir.
Des vêtements propres sont pliés sur la table. Ils ont peut-être été préparés pour lui. Theod écarte les draps pour quitter le lit. Il remarque son ample chemise blanche tachée de boue séchée.L'idée de s'habiller comme un vulgaire cuisinier ne lui serait jamais venue à l'esprit. Le prince pose ses pieds sur le sol. Une énergie soudaine émane de son corps. Il ressent à nouveau cette impression de légèreté. Ses muscles semblent moins fragiles et son dos presque indolore. Une joie immense s'empare de lui. Par un soudain excès d'euphorie, il s'élance du lit et saute droit vers le plafond pour essayer de toucher les poutres. Ses doigts les frôlent de peu. Il retombe sur le sol en manquant de perdre son équilibre. Cette action lui aurait été impossible une semaine plus tôt. Ses os se seraient brisés et le jeune héritier aurait sans doute été paralysé à vie, comme dans son étrange rêve.
Un lourd objet tombe de sa poche après les secousses de son élan de joie. Theod observe à ses pieds une montre à gousset fermée par un couvercle doré. Une fine chaîne métallique est reliée au clapet. Un travail aussi précis du métal ne trompe pas sur l'origine de la montre. Elle vient forcément de la vieille ville du Haut Royaume. Theod a enfin trouvé un objet susceptible de lui rappeler la cité royale. Il s'abaisse pour la ramasser. Encore une fois, le mouvement ne lui demande presque aucun effort contrairement à ce que sa maladie osseuse à l'habitude de lui faire endurer. Il caresse un instant le bouton qui dépasse légèrement du bord de l'objet, puis enclenche le mécanisme avec son pouce. Un petit bruit cliquette et le couvercle s'ouvre aussitôt.
Theod entre en admiration. Tous les petits engrenages de la montre sont visibles. Trois longues aiguilles indiquent le temps, chacune décorée d'une petite pierre brillante. Les diamants, qui ne sont pourtant pas les matériaux les plus rares dans le désert, ajoutent une très belle tinte au métal. L'héritier écarquille soudainement les yeux. La montre indique qu'il est le quatorzième jour du mois, soit une semaine après l'enterrement du roi Kyan. Il est impossible qu'autant de temps se soit écoulé sans qu'il n'ait un souvenir de ce qu'il s'est passé depuis. Des soldats ont sans aucun doute été envoyés aux quatre coins du royaume pour le retrouver. Mais que lui est-il arrivé ?
Des motifs ornent l'intérieur du couvercle. L'héritier place la montre dans la lumière de la fenêtre pour mieux voir. Le magnifique portrait d'une jeune fille apparaît, protégé par une fine plaquette de verre. Le visage de l'inconnue ne lui dit rien. Theod remarque les écritures gravées sous le portrait : « Voilà un moyen de ne pas perdre son temps, pour W.F. Kettbell ». Le paysage de la vieille ville vue des hauteurs du palais, au sommet des falaises du Haut Royaume, se dessine dans la tête du prince. Celui-ci recule, presque apeuré. Cette montre ne lui appartient pas. Pourquoi est-elle en sa possession ? L'aurait-il volée ? Theod enlève sa chemise dans un élan de panique et cherche des indications. Il aperçoit le nom de William brodé à l'intérieur du col du vêtement. Qui est cet homme ? William. F. Kettbell ? Ce nom ne lui est en aucun cas familier. Pourquoi possède-t-il toutes ses affaires ? L'hériter s'arrête brusquement de gesticuler. Ses yeux sont posés sur son torse et ses bras. Le teint de sa peau est inhabituellement hâlé. Il est possible d'avoir bruni durant son inexplicable voyage jusqu'ici, bien que sa peau n'apprécie guère les coups de soleil, mais comment expliquer sa soudaine musculature ? Il n'est pas possible d'acquérir le corps d'un soldat en moins de dix jours, à moins de s'être miraculeusement métamorphosé.
Les mots du vieux cocher résonnent dans la tête du prince : « Je t'emmène chez moi pour te remettre sur pied. Tu ne peux pas me faire croire que tu es véritablement paralysé avec le corps d'athlète que tu as ». La rencontre du vieillard à la lisière du désert n'était donc pas un rêve. Theod ne serait d'ailleurs pas dans cette chambre si ça l'avait été, à moins qu'il soit toujours en train de rêver. Il s'empresse d'attraper les vêtements posés sur la table et aperçoit le petit miroir suspendu. Il repose aussitôt les vêtements et dresse le miroir face à lui.
Le visage reflété dans la glace n'est pas le sien. L'héritier se retourne en espérant voir cet homme caché derrière lui mais rien à faire, il est bel et bien seul. Il passe sa main devant le miroir. Il maîtrise les mouvements de cet inconnu. Le vieux cocher serait-il un sorcier qui l'aurait métamorphosé pour le soigner ? C'est impossible. Ce William Kettbell semble lui aussi venir du Haut Royaume. Theod pose le miroir et change ses vêtements.Il s'assoit sur la chaise pour reprendre son calme et cherche dans sa tête des bribes de souvenirs auxquels il pourrait se rattacher. La fille au collier bleu qu'il aperçoit dans ses rêves n'est certainement pas la même que celle du portrait caché dans la montre. L'héritier ferme les yeux et plonge dans ses souvenirs. L'image de la cascade du Haut Royaume refait surface dans ses pensées. Il manque de perdre son équilibre. Ce n'est pas dans son habitude de se retrouver si près de la chute d'eau. Serait-ce les souvenirs d'un autre ? Theod regarde plus attentivement les reflets de William Kettbell dans le miroir. Pour combien de temps est-il dans ce corps ? Retrouvera-t-il un jour sa propre apparence ? Rien ne contredit l'hypothèse que ce Kettbell est devenu roi à sa place, comme s'ils avaient tous deux échangé leur identité.
L'héritier replonge dans ses souvenirs en dessinant cette fois-ci des visages familiers dans son esprit. Il se souvient de sa sœur Deryn dans le sanctuaire du palais, mais aussi de Thomas Elsheman. Il devait rejoindre son ami dans ses appartements après les funérailles de son père. Cependant, il ne se souvient plus de ce que ce dernier tenait tant à lui dire. Peut-être voulait-il lui faire des commentaires sur son couronnement, ou bien ses condoléances pour son père. Theod n'arrive pas à se souvenir de la suite. Sa sœur Deryn, son ami Thomas, son oncle Winterbrdge... ils ne pourront jamais le reconnaître sous cette apparence.
Le prince réouvre les yeux. Il s'était préparé à ne plus jamais revoir son entourage après sa fuite. Peut-être est-il dans ce corps parce qu'il a refusé le trône. Peut-être a-t-il conclu un pacte avec un sorcier pour fuir ses responsabilités de roi. Mais la sorcellerie existe-elle réellement ? Theod se voit mal aller de lui-même à la rencontre de ceux qui affirment détenir des pouvoirs magiques. Il ne les prend pas assez au sérieux pour leur rendre visite, même si la situation semble désespérée.
Ses yeux se perdent dans le vide. Peu importe le mystère qui plane sur le changement brusque de son identité, Theod voit maintenant la possibilité d'échapper à son rôle de souverain, laissant derrière lui sa vie d'hériter. En se glissant dans la peau de William Kettbell, la chance de fuir vers les terres de Vif-Azur se présente enfin à lui.

LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant