Chapitre 53 : La potion

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Des cris de douleurs retentissent dans les souterrains du Haut Palais. Le bruit des chaînes de fer se mélangent aux supplices du torturé. Le malheureux hurle a plein poumon, allongé sur une plateforme en pierre plate. Le médecin royal est face à lui, exécutant son méticuleux travail avec précision, imperturbable. A sa gauche, George Winterbridge fait les cent pas, les dents grinçantes.
- Par les Sept ! explose-t-il. N'est-il pas possible de le faire taire ?
Le médecin ne bronche pas face aux plaintes du vieux noble. Il poursuit calmement son opération sur l'esclave enchaîné, ses outils de chirurgie plantés dans l'épaule de ce dernier.
- Ce n'est pas facile d'imiter une blessure causée par balle, finit-il par répondre. Il y a des risques que la Cour se rende compte de la supercherie.
- Je m'assurerai que ça n'arrive pas, rétorque Winterbridge. Les nobles attendent avec impatience la capture des conspirateurs, ils seront facilement convaincus quand j'accuserai cet esclave à la place de Maynard.
Le médecin reste silencieux, dubitatif. Il évite de contredire son supérieur, apeuré par les menaces. Le cobaye perd connaissance sous la douleur de l'expérience. Winterbridge redresse sa moustache et profite du retour au calme.
- Seigneur Maynard Campbell devrait me montrer sa blessure, ajoute le médecin. Son état peut s'aggraver.
- Ce vaurien est têtu comme une mule, se plaint Winterbridge. Il n'a pas confiance en vous. Et puis, qu'est-ce que cela peut-il vous faire ? Si les soins ne fonctionnent pas, il demandera votre exécution sur le champ.
- Je me serai volontiers inspiré de sa blessure pour cette opération d'imitation. Seigneur Campbell n'a pas idée de ce que représente l'obtention de la liberté pour moi.
- Bientôt, rassure Winterbridge. Dès que nous n'aurons plus besoin de vous, vous pourrez partir.
Le médecin lance un rictus nerveux.
- Comment vous croire ? Vos affaires n'ont pas de fin. Il faut sans cesse déjouer les plans de seigneur Scott Lane. Notre protecteur royal n'est pas prêt d'en finir avec cette enquête.
- Il ne nous causera bientôt plus d'ennuis, répond Winterbridge sur un ton menaçant. Et vous n'avez pas besoin de croire, mais simplement d'obéir. Prenons votre prédécesseur comme exemple. Celui-ci a subi les conséquences de sa trahison. Il serait fâcheux de vous réserver le même sort.
Le médecin tire une grimace.
- Que lui est-il arriver ?
Winterbridge déplace une chaise et s'assoie aux côtés du médecin, le sourire dessiné sous sa moustache. Il prend toujours un malin plaisir à raconter cette histoire.
- Cela remonte à la naissance de Deryn. A l'époque, j'avais d'autres plans pour me débarrasser de la lignée royale. Nous avions déjà pris contact avec les terres de Pârces et il était temps de moderniser notre royaume. Cependant, les nouvelles technologies ne correspondaient pas à nos coutumes démodés. J'ai alors décidé d'agir. Le médecin royal était chargé d'assassiner la reine Eleanor lors de son premier accouchement pour mettre un terme à la lignée, mais celui-ci a refusé malgré la récompense promise. Etant devenu un traître à mes plans, je l'ai aussitôt banni du palais avant que celui-ci ne me dénonce.
- Qu'est-il devenu ?
- Dans un premier temps, je l'ai exilé vers la mer de l'Ouest, gardant un œil sur ses activités. Il a démarré une vie de marchand sous le nom de « Haytam » ou « Isham », je ne sais plus. Son comportement de révolte m'a poussé à me débarrasser de lui pour de bon. J'ai envoyé une troupe de soldat, le lendemain il était mort.
A ces mots, le médecin expire une longue bouffée d'air pour maintenir sa concentration sur son opération, la gorge sèche. Winterbridge peut être véritablement impitoyable.
- Je sais tout de vos complots, annonce-t-il timidement. Rien ne m'empêche de vous dénoncer après que vous m'ayez relâché. Vous me tuerez comme tous les autres. Il n'est pas nécessaire de me mentir sur le triste sort que vous me réservez.
Winterbridge reste de marbre, silencieux et énigmatique. La panique envahit le médecin. Il dépose ses outils et se tourne vers le noble, les mains liés.
- Je vous en supplie, reprend-il, ne me tuez pas. J'ai une chose importante à vous dire, j'espère que vous tiendrez compte de mon honnêteté.
Le vieux noble redresse sa moustache, intrigué par les paroles du médecin.
- Parle, je t'écoute.
- En soignant le bras de Deryn, suite à son attaque, j'ai découvert un lourd secret qui remet en cause le mariage de sa majesté Thomas Elsheman.
Winterbridge devient nerveux. Sa patience a des limites.
- Poursuis ! ordonne-il.
- Lors de sa guérison, j'ai utilisé des liquides qui ne réagissent qu'avec le sang de la lignée royale. Lors de mon arrivée au palais, j'ai établi les composants selon le métabolisme de notre roi Kyan. Cependant, mes produits n'ont pas fonctionné. J'ai dû la soigner autrement.
- Qu'entends-tu par-là ?
Winterbridge a entièrement compris le sous-entendu du médecin, mais n'ose pas y croire. Depuis toutes ses années, il avait sous les yeux la clé pour se débarrasser de la lignée royale. Cette révélation aurait fragilisé l'autorité du roi, comme s'il enlevait une pièce pour que toute la monarchie ne s'effondre.
- Si ma potion n'a pas fonctionné, explique le médecin, cela veut dire que son Altesse Deryn n'est pas la fille du roi.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant