Chapitre 49 : La sorcière

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La chaleur s'accumule dans les ruelles. Keith serpente entre les déchets qui jonchent le sol. La vieille ville n'a jamais été très propre. Quand il était enfant, il s'amusait à sauter par-dessus les détritus en dévalant les pentes. Parfois, il posait malencontreusement un pied sur un rebut inidentifiable. L'odeur pouvait le suivre jusqu'à la fin de la journée. Ses camarades le taquinaient jusqu'à ce qu'il soit à nouveau propre.
Les sorties au-delà des murs de l'orphelinat se font rare. Les gamins, fous de joie, déguerpissent en un rien de temps se cacher pour s'amuser. Ils profitent un maximum de la journée avant que le sifflet du gardien ne retentisse, signal du rapatriement aux dortoirs. Les orphelins amènent avec eux tout un tas d'objets abandonnés, cachés dans leurs poches. Le soir-même, ils échangent leurs trouvailles pour agrandir leurs absurdes collections « d'on ne sait quoi ». Parfois des cailloux et des boutons, parfois des pièces de monnaie abîmées ou des bijoux perdus. Tout prend de la valeur derrière leurs yeux d'enfants.
Les places de la cité sont particulièrement sales les jours de marché. Les étals laissent des tas de déchets après leurs passages. Le crottin des chevaux s'étale entre les pavés et les aliments périmés sont abandonnés sur les trottoirs. Pour débarrasser les rues, il faut attendre la nuit. Les rats sortent des égouts et entament avec entrain ce magnifique festin. Les restes sont jetés à l'aube, dans les trois cours d'eau qui sillonnent la ville. Les ordures, prises par le courant, s'échappent du Haut Royaume et débutent un long voyage en direction de la mer de l'Ouest.

Le jeune apprenti poursuit son chemin, le visage encapuchonné sous son vêtement. Il n'avait jamais vu autant d'avis de recherche recouvrir les murs des bâtiments. Le malheureux dont le portrait est exposé sur chaque affiche ne va pas rester caché dans la cité très longtemps. La gorge de Keith se serre. Le prêtre Mashir peut à tout moment lui réserver le même sort pour le retrouver. Les soldats l'embarqueraient en un rien de temps s'il ne se planque pas dans un endroit sûr. Et puis, cette histoire de vieux parchemin a beaucoup moins d'importances aux yeux des habitants que l'assassinat des rois. Il est insensé d'ajouter son portrait à côté de ce dénommé William Kettbell.
Le son des cloches retentit à l'avant de la cité. Une troupe de soldats s'avance au pas de course, alarmée. Keith se fait le plus discret possible et se rassure en esquivant le regard des soldats. Il n'est pas à l'abri d'une mauvaise surprise. Les militaires se précipitent dans les ruelles pour rejoindre les portes de la ville, arme à la main. Un accident a peut-être eu lieu. Ou une piste sur l'assassin trouvée. Peu importe, Keith est bien content que ces agitations ne le concernent pas.

Le soleil s'abat lentement sur l'horizon avec son teint orangé habituel. La vieille ville plonge dans la lumière ocre du crépuscule. Les rues se vident, bientôt inanimées. Keith se dirige vers la cascade de la cité pour fuir le silence de la nuit. Depuis ses mésaventures dans le désert, la fraicheur des chutes d'eau l'apaise. A son arrivée, il suffisait de peu pour ne plus jamais entendre ce doux vacarme incessant. Alors le jeune apprenti se laisse bercer par le Haut Royaume, des pensées nostalgiques plein le crâne.
Il débouche enfin sur la place Anton 1er. Ses recherches n'ont pas été très fructueuses. Rien ne mène à la sorcière de la ville. Keith s'est adressé aux marchands, aux passants, aux enfants. Tous connaissent le nom de Faÿmi, mais aucun d'eux ne sait où la trouver. Il n'a plus qu'à espérer croiser son chemin par hasard. Le jeune apprenti ne garde pas des souvenirs très précis de l'accoutrement de la femme. Elle devrait être reconnaissable dans ses habits atypiques.
Keith se laisse tomber sur un banc, épuisé. La place est désormais plongé dans l'obscurité. La force de la cascade remue les odeurs de la ville. Il peine à voir le bassin au pied des falaises se disperser en trois cours d'eau. Le jeune apprenti détend ses muscles et apprécie l'instant présent. La chaleur laisse place à la fraicheur de la nuit et les étoiles commencent à apparaître dans le ciel. Mais un bruit retient son attention, comme des pas de course. Il croirait entendre des gens courir dans le noir. L'apprenti plisse ses yeux en espérant discerner quelque chose dans cette pénombre, mais rien à faire. Les sons se perdent rapidement dans le bourdonnement de la cascade.
Les candélabres grésillent, puis s'allument péniblement. La place replonge dans une lumière ocre, comme si le couché de soleil n'était pas totalement terminé. Les chutes d'eau sont à nouveau visibles. Des gardes sont plantés devant les élévateurs qui mènent au palais, ils n'ont rien d'anormal à signaler. Aucune raison de s'inquiéter. Cependant, Keith n'avait pas remarqué la jeune femme assise à un autre banc, seule. Celle-ci a peut-être des informations sur la sorcière. Ça ne coûte rien d'aller lui demander.
Le jeune apprenti s'approche naïvement de l'inconnue. Aussitôt, quatre soldats font irruption sur la place et se précipite sur Keith. Ce dernier, apeuré, fait demi-tour comme si de rien n'était. Les gardes le rattrapent aisément et le plaque au sol.
— Qui es-tu ? Pourquoi tu t'approches de la dame à cette heure-ci ?
Le jeune apprenti regrette sa démarche. Il ne pensait pas s'attirer des ennuis aussi facilement.
— Pourquoi es-tu encapuchonné ? lance un autre soldat. Tu ne sais pas qu'il est interdit de circuler dans la ville le visage caché ?
Il arrache le vêtement de Keith et découvre sa peau brûlée par le soleil. Les gardes font un pas en arrière.
— Il faut se faire soigner mon vieux !
Les militaires s'esclaffent de rire. Une petite voix aiguë les interrompt.
— Laissez-le, barbares ! Il ne vous a rien fait.
Les soldats s'écartent, agacés de ne pas pouvoir se distraire un moment dans la journée. Keith reconnaît la jeune femme assise sur le banc.
— Que me veux-tu ? lui lance-t-elle. Pourquoi m'approches-tu ?
Keith s'empresse de répondre, affolé.
— Je veux juste une information, s'écrie-t-il, après je m'en vais. Savez-vous où je peux trouver Faÿmi la sorcière ?
Les soldats se remettent à ricaner doucement. La femme se penche sur le jeune apprenti et constate ses blessures.
— Je présume que tu ne sais pas qui je suis, poursuit-elle.
Le jeune élève hoche lentement la tête, les muscles tendus, prêt à recevoir un coup à tout moment. L'inconnue soupire, embarrassée.
— Ceci explique cela. N'aie pas peur des gardes, ils ne t'attaqueront pas. Le soleil a bien abîmé ta peau. Faÿmi saura quoi faire.
Les yeux de Keith s'illuminent.
— Vous savez où est la sorcière ? Vous savez où se trouve son antre ?
La femme le gifle. Les soldats continuent de railler.
— Comment parles-tu d'elle ? s'indigne-t-elle. Ne l'appelle plus jamais comme ça !
Keith joint ses mains pour s'excuser, la tête clouée au sol.
— Pardonnez-moi. Je ne la connais que de nom. Par pitié, emmenez-moi à elle.
L'inconnue hésite un moment, consternée par l'état du jeune homme.
— Comment t'appelles-tu ? questionne-t-elle. Pourquoi es-tu dans cet état-là ?
— Un voyageur, madame, s'empresse de répondre l'apprenti. J'ai traversé le désert seul. J'ai besoin de madame Faÿmi.
L'inconnue reste silencieuse, l'esprit ailleurs. Keith, le nez toujours à terre, ne sait pas pendant combien de temps il attend un réponse. Sa position commence à lui tirer les muscles du dos. La jeune femme finit par reprendre la parole, le ton apaisé.
— Je m'appelle Emilia Greene. Suis-moi, je vais te mener à la maison de Faÿmi.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant