Chapitre 30 : Les lumières

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La température de l'air devient chaude et étouffante. Pas une brise de vent ne se fait ressentir dans les environs. Keith poursuit avec difficulté sa route sur le chemin de sable derrière son compagnon de voyage. Cela fait déjà deux jours qu'ils marchent entre les dunes du désert et l'apprenti sent la fatigue l'envahir pour de bon. Henry le barde continue d'avancer sans se plaindre. Ce dernier n'accorde qu'une pause durant la journée. Depuis leur entrée dans le désert, le musicien s'est mis à perdre peu à peu son humeur sympathique et à accélérer le pas. Ce n'est que le soir venu où il accepte enfin de dresser le campement pour la nuit.
Les gouttes de sueurs perlent sur les tempes de Keith. Le jeune apprenti avait oublié la chaleur écrasante des terres arides du Vieux Royaume. Les rayons orangés du soleil couchant l'aveuglent en direction de l'Ouest. L'élève se frotte les yeux et contemple les alentours. La mer de sable s'étend à perte de vue. Il aperçoit au sommet d'une dune son compagnon de voyage s'asseoir face à l'horizon. La nuit va bientôt tomber, il est l'heure de monter le campement.
Keith exerce un ultime effort pour se hisser au sommet de la dune. Sa besace glisse de son épaule juste avant qu'il ne se laisse tomber sur le sol. Le barde lâche un rire étouffé. Cela faisait un moment que l'apprenti ne l'avait pas vu sourire.
- Il serait dommage d'abandonner maintenant, lance-t-il. Demain sera notre dernier jour de marche avant d'atteindre les fouilles archéologiques.
Le jeune voyageur inspire une longue bouffée d'air et se redresse à la force de ses bras. Bien que le chemin soit difficile et le caractère du barde très particulier, son voyage aura été plus rapide que prévu. Les deux campeurs installent leurs affaires pour la nuit, puis allument un feu avant que le ciel ne s'assombrisse entièrement.
- Si nous sommes chanceux, reprend le barde, le désert nous dévoilera ses trésors ce soir.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? demande Keith sans comprendre.
Le barde dégaine son luth et raccorde son instrument.
- Tu ne contemples jamais les dunes le soir ? Il arrive parfois que des petits points lumineux se mettent à briller dans le désert, comme si les couches de sable reflétaient le ciel étoilé.
- On raconte des tas d'histoires sur cet étrange phénomène, répond le jeune apprenti, mais aucune d'elles ne me semble plausible. En quoi ces points lumineux seraient-ils des trésors pour toi ?
Le barde défile ses doigts sur les cordes du luth pour s'assurer que son instrument soit prêt à être utilisé.
- Tu crois en l'existence des Dieux ? questionne-t-il.
- Pas plus que tous les autres habitants des terres du Vieux Royaume, affirme Keith. Je crois surtout que nous, les hommes, avons imaginé leur existence afin de créer l'illusion que des êtres supérieurs veillent sur nous. L'Histoire Sacrée donne des réponses réconfortantes là où il n'y en a pas. C'est pourquoi je pense que son véritable rôle est de nous instruire une philosophie de vie à travers les mythes et légendes, et qu'il serait une erreur de les croire à la lettre.
Le barde joue quelques accords avec son luth avant de répondre.
- Je vois que tu t'es déjà forgé une opinion solide sur la question, répond-il. Moi non plus je ne crois pas en eux. Ou du moins, s'ils ont existé, cela fait longtemps qu'ils nous ont abandonnés.
- Pourquoi dis-tu ça ? demande Keith. Pourquoi seraient-ils partis ?
Le musicien observe les alentours de leur campement.
- Regarde autour de toi, dit-il. Tout porte à croire qu'ils aient existé fut un temps. Je ne parle pas seulement de la création de la nature, de la matière, ou de notre monde, mais aussi de l'origine du Haut Royaume, la cité royale qui accueille les élus de nos Dieux.
Keith lâche un petit rire moqueur.
- C'est ce que je disais, confirme-t-il. L'Histoire Sacrée donne des réponses là où il n'y en a pas. Et les hommes s'en sont servis pour maintenir l'ordre dans nos sociétés. Cependant, ce n'est pas un si mauvaise chose car nous vivons toujours dans une ère de paix.
Le jeune apprenti remarque le barde grincer des dents.
- Les rumeurs murmurent que le roi Kyan nous a quitté, ajoute celui-ci. Tout peut arriver désormais.
Keith acquiesce silencieusement avec un hochement de tête. Il avait entendu la nouvelle se répandre parmi les prêtres de la Sainte Cité. Theod, l'héritier, sera bientôt proclamer nouveau roi.
Les deux voyageurs cessent de parler un instant. Seuls les crépitements du feu rompent le silence. Le barde se décide finalement à jouer quelques accords avec son luth.
- Je vais te conter la légende que je connais sur ces lumières qui scintillent dans le désert, annonce-t-il.
Il observe à nouveau les alentours dans l'espoir d'en apercevoir, mais se retourne finalement vers Keith avec un air déçu.
- Bien avant notre ère, reprend-t-il, les Dieux régnaient sur les terres du Vieux Royaume. Le désert n'était pas fait de sable, mais d'or.
Le jeune apprenti lève les yeux au ciel, fatigué d'entendre cette histoire qu'il connaît par cœur.
- A la création des hommes, complète-t-il, les Dieux remarquent que ceux-là profitent ouvertement de leurs richesses. Pour les punir, les divins transforment l'or en sable en ne laissant qu'une poignée de minerai rare dans le désert. Ainsi, les habitants de la surface apprirent à se donner eux-mêmes les moyens pour trouver de l'or parmi les dunes.
- Impressionnant ! s'exclame le musicien. Tu as une véritable connaissance des mythes. Ce n'est pas courant pour un non-croyant. Tu ferais un excellent barde avec toutes ces histoires en tête.
Keith hausse les épaules.
- Voyager de ville en ville n'est pas un mode de vie que j'apprécie.
Le barde hausse les épaules à son tour.
- C'est un métier qui nous permet de faire de bonnes rencontres.
Il lance un grand sourire au jeune apprenti.
- Une longue journée nous attend demain, affirme-t-il. Je vais me reposer. J'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir un jour. Tu es un jeune homme très surprenant.
Keith acquiesce de nouveau avec un hochement de tête. Il observe le barde s'allonger sur le sol en tournant le dos au feu de camp. L'élève étire son cou et en profite pour sortir le manuscrit et son calepin de sa sacoche. Il décide de consacrer un bref moment à la traduction du parchemin avant de s'endormir à son tour. Il relit rapidement ses notes.
Les Dieux, enfermés dans le monde souterrain, ont tenté de distraire le gardien en semant la discorde aux portes des Enfers. Cependant, l'enfant a été sauvé. Personne ne peut s'échapper des Enfers, ni même les Dieux.
Le jeune apprenti sort par la suite le livre « Histoires des Enfers » volé à la bibliothèque de la Sainte Cité et retourne sur le chapitre consacré au gardien. Il avait appris que ce personnage mythologique vivait sur le monde de la surface et habitait un nouveau corps de génération en génération. Cette information explique pourquoi le manuscrit indique que « l'enfant a été sauvé ». L'enfant est le gardien régénéré dans une nouvelle enveloppe corporelle. Keith avait ensuite lu que ce 'transfert' d'année en année affaiblirait la mémoire du gardien. Peut-être qu'un jour, n'importe qui pourra être le gardien des Enfers sans même le savoir. Ce personnage illustre forcément une vérité qui se transmettait de vive-voix avant qu'il ne se perde au fil des années. Keith avait émis l'hypothèse qu'il s'agissait de l'allégorie d'une noble valeur en lien avec la mémoire des défunts.
Les Dieux auraient donc cherché à effacer cette vérité. Mais que représentent alors les Dieux ? L'allégorie d'une autre vérité ? Keith parcourt rapidement le chapitre sur le gardien, mais ne trouve aucune réponse. Ses yeux s'arrêtent sur les illustrations en bas de page. Il reconnaît immédiatement le gardien grâce au symbole qui le détermine. Ce dernier est toujours représenté avec une étrange perle bleue accrochée à un collier autour du cou. Keith n'a pas réussi à en savoir plus sur cet objet.
Le jeune élève soupire et referme le livre avec déception. Ça ne sert à rien de se casser la tête sur la traduction tout de suite. Il ferait mieux de se reposer pour le moment et poursuivre son travail sur le manuscrit quand il sera enfin arrivé aux fouilles archéologiques. En continuant de travailler sous la fatigue, il ne fait que s'exposer au risque de confondre les informations.
Keith se lève et jette un dernier regard au barde. Celui-ci s'est déjà endormi dans un sommeil profond. L'élève éteint le feu de camp et s'allonge sur le sol en essayant de penser à autre chose que son travail de traduction. Au moment de fermer les yeux, l'apprenti aperçoit dans l'obscurité de la nuit les lumières du désert scintiller entre les dunes.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant