Chapitre 3 : La voie sacrée

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          Keith est assis dans le couloir qui mène aux dortoirs. Il attend à l'écart d'une foule de prêtres en tunique blanche l'arrivée du médecin aumônier qui s'occupe de l'état de son maître Grimmor. Le jeune apprenti commence à perdre patience. Il ne supporte plus le brouhaha que font les prêtres qui s'agitent dans tous les sens autour de lui. Chacun d'eux lève le ton, soit pour savoir ce qu'il s'est passé à l'entrée du temple dans la cour, soit pour exprimer sa propre interprétation sur les derniers mots du précepteur alité. « Une image où les dieux étaient morts ». Keith n'entend plus que cette phrase, où qu'il aille. Ces propos ont de quoi bousculer les plus croyants. Il faut croire que la sainte Cité entière s'est mise à débattre pour trancher une conclusion sur l'attitude de Grimmor. Était-il devenu fou à ce moment-là ou avait-il réellement eu une vision des divins ? Étrangement, personne n'est venu demander plus de détails à Keith. Il était pourtant seul avec son maître dans le temple quand sa crise a débuté. Aucun prêtre ne lui a adressé la parole depuis que tout cela est arrivé.
      Keith essaie de comprendre la phrase de son précepteur qui fait tant polémique. Si l'on maintient l'hypothèse que les dieux sont morts, bien que cela n'ait aucun sens quand il s'agit d'êtres immortels, qui aurait envoyé la vision à Grimmor ? L'apprenti se remémore ce que son maître lui disait avant que ce dernier ne se mette à courir dans le temple. Grimmor murmurait des bouts de mots incompréhensibles avant de prononcer clairement le nom du Morgörek. Le gros scarabée géant aurait-il quelque chose à voir avec cette histoire ? Il est pourtant bien mort d'après le mythe des enfers. En réalité, Grimmor n'avait à ce moment pas l'air de devenir fou sans raisons ou de recevoir une vision, mais plutôt d'avoir pris conscience de quelque chose d'assez grave pour le mettre dans cet état. Keith se gratte la tête. Il doit sûrement y avoir un lien avec les enfers puisqu'ils en parlaient à ce moment. Il décide de se lever et de s'adresser au prêtre le plus proche de lui. Il repère deux hommes à la tunique blanche qui discutent calmement à l'écart de la foule.
      - Excusez-moi mes pères, les interrompt-il. Pensez-vous que les dieux sont morts ?
    Les deux prêtres le regardent horrifiés, comme s'il venait de s'amuser à soulever la robe de leur cuculle.
      - Comment peux-tu penser une telle chose, mon fils ? lui demande l'un d'eux. Il est évident que les dieux sont là. Ils nous observent, alors je te conseille de réfléchir longuement avant de parler d'eux ainsi...
      - Mais alors où sont-ils ? lui demande Keith. Comment savoir s'ils sont toujours là à veiller sur nous ?
    Le prêtre s'approche de lui.
      - Mon jeune enfant. Les dieux sont partout. Autour de nous, à l'intérieur de nous...
    Il pointe du doigt le torse de Keith.
      - Suis la voie sacrée et tu trouveras la présence des dieux en toi. Ils te guideront, te conseilleront... Ne voile pas ton esprit de toutes ces sombres pensées.
    Keith se dégage du doigt de son interlocuteur pointé sur lui.
      - Je ne faisais que réfléchir à la situation, mon père, répond-il.
    Le deuxième prêtre s'approche de lui à son tour.
      - Tu n'as pas besoin de réfléchir quand la voie sacrée te guide.
      - Trouve-la ! complète le premier.
    Keith recule de quelques pas, consterné. Ils n'ont donc rien d'autre à dire que de parler de la voie sacrée ? Alors qu'en est-il de son maître Grimmor ? S'est-il écarté de cette voie ? En a-t-il perdu la foi ?
      Les deux prêtres le regardent avec de grands yeux. Keith se demande un instant s'il n'a pas réfléchi à haute voix. Il devrait reprendre son calme s'il ne veut pas qu'on le considère comme un apprenti non croyant qui a corrompu son précepteur.
      Un bruit résonne dans le couloir et attire l'attention des deux prêtres. Une porte gardée par deux soldats de la cité s'ouvre et le médecin aumônier fait son apparition au milieu de ses saints frères. Tous les prêtres se jettent sur lui en posant mille et une questions. Ce dernier ferme la porte en vitesse et lève un bras en l'air pour demander le silence. Tous les prêtres s'arrêtent de parler pour l'écouter.
      - Écoutez-moi bien, mes frères, annonce le médecin. Maître Grimmor doit se reposer seul dans sa chambre pendant quelques temps. Je vous demande de ne le déranger en aucun cas pendant ces prochains jours.
Un prêtre le coupe.
      - Notre saint frère Grimmor est le plus sage d'entre nous. Ce n'est pas possible qu'il ait perdu ses esprits, n'est-il pas ?
    Le médecin lui tend un grand sourire avant de lui répondre.
      - Ne vous en faites pas, tout va bien. Il a juste besoin de repos. Je vais maintenant vous demander de sortir du couloir pour ne pas faire de bruit dans les dortoirs.
      Le médecin aumônier se fraye un chemin dans la foule et sort du couloir. Le troupeau de tunique blanche se met à le suivre en silence, avant que le brouhaha ne reprenne de plus belle. Keith se demande ce qu'il adviendrait d'eux si les dieux les abandonnaient, dans l'hypothèse que les divins existent.
      Il ajuste sa ceinture. L'apprenti est maintenant seul avec les gardes devant la porte du couloir. Ces derniers ont une impressionnante capacité à rester immobile, n'esquissant même pas le geste de vouloir se boucher les oreilles quand les prêtres hurlent juste à côté d'eux. Une main vient tapoter l'épaule du jeune élève. Il se retourne et découvre le prêtre Mashir, celui qui était venu au secours de Grimmor à l'entrée du temple.
      - Bonjour, Keith. Je te cherchais. Ton précepteur ne pourra pas assurer la suite de ta formation durant ton séjour ici à la Sainte Cité. C'est pour cela que je vais exceptionnellement devenir ton nouveau maître et poursuivre ton enseignement.
      Keith lance un regard étonné.
      - Le médecin vient pourtant d'annoncer qu'il ne faudra que quelques jours de repos au maître Grimmor pour se remettre de son état critique.
    Le prêtre lui répond machinalement, comme s'il s'attendait à ce qu'il lui pose cette question.
      - En effet et je ne doute pas de ces capacités. Cependant, il est bien de garder le même précepteur tout au long de sa formation. Étant donné que tu n'as pas vraiment eu le temps de commencer tes cours avec Sir Grimmor, il n'est pas trop tard pour changer d'enseignant.
L'apprenti lance cette fois-ci un regard méfiant à son nouveau précepteur. Sa réponse lui semble alambiquée.
      - Tu as cependant droit à trois jours de repos, reprend Mashir. Profites-en pour visiter avec plus d'attention les différentes parties des temples de la cité. Je te retrouverai dans la cour principale à l'aube au jour dit.
      Mashir quitte le couloir par la porte qui mène aux escaliers. Keith se retrouve désormais véritablement seul avec les deux gardes qui restent de marbre. Mashir ne lui inspire pas confiance. Sa réponse trop spontanée doit forcément cacher quelque chose. Il se sent dépité de devoir finir sa formation avec ce prêtre qu'il trouve beaucoup moins émérite et avenant que Grimmor. Mais comment peut-il après tout juger aussi rapidement les capacités d'un maître ? Keith décide de se fier à son intuition. Il verra bien comment se passeront ses prochaines leçons auprès de Mashir.
      Il observe un moment la porte qui mène à la chambre de Grimmor avant de partir. C'est assez étrange de donner l'ordre de surveiller la porte d'un malade. Le conseil des Sept qui siège dans le temple principal de la cité cherche peut-être à l'isoler. Et dans ce cas, pourquoi ?
La curiosité envahit le jeune apprenti. Il doit à tout prix savoir ce qu'il se passe derrière cette porte. Mashir lui a donné trois jours de repos. Il a donc trois jours pour essayer de savoir ce qui se trame. A la sortie du bâtiment des dortoirs, il pense une dernière fois aux deux gardes. Une idée lui vient en tête. Quitte à faire une énorme bêtise, Keith décide de se laisser guider par la voix sacrée qui sommeille en lui, sans réfléchir, comme lui ont conseillé les deux prêtres.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant