Chapitre 39 : Le départ

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La haute température de la journée redescend progressivement. Le soleil orangé s'allonge sur l'horizon en déversant ses derniers rayons sur les plaines désertiques. Le village endormi du Moulin Grincheux se réveille peu à peu. Une douce brise circule entre les ruelles. Dans les couleurs claires et encore chaudes de la nuit émergente, la silhouette d'une charrette tirée par deux chevaux se dessine sur le boulevard des commerces. Theod et Merina sont de retour chez le riche marchand, le soir-même comme convenu.
La carriole s'arrête devant le petit portillon de la maison. L'héritier est assis sur l'un des chevaux. Il se frotte la tête, encore sonné par les détonations des explosifs de l'orpheline. La jeune fille armée jusqu'aux dents peut à tout moment devenir un réel danger si elle ne réfléchit pas plus longtemps aux conséquences de ses actes. Bien que ses compétences les aient sauvés d'une situation périlleuse, que se passera-t-il si Merina réserve ce même comportement pour la vieille ville du Haut Royaume ? Theod lâche un long soupir. Le bâtiment des malfrats a manqué de s'effondrer sous le coup des explosifs. L'orpheline est une aide dangereuse qui pourrait se retourner contre lui s'il ne reste pas plus méfiant.
La coéquipière du jeune prince saute de la charrette et entre dans la propriété du marchand. Le corps du premier bandit vendu a été déplacé dans le jardin. Des traces dans le sable forment un petit chemin qui disparaît derrière la maison. Theod sent entre ses orteils un caillou qui s'est introduit dans sa botte. Il fait la grimace en retirant son soulier pendant que Merina frappe à la porte du marchand. L'héritier renverse sa chaussure pour chasser le caillou. Un tas de sable se verse sur la carriole. Il regarde avec regret la pile de cadavres derrière lui, entassés à l'arrière de la charrette.
Le marchand ouvre brusquement la porte de sa demeure, son fusil à la main. Il est cette fois-ci vêtu d'une tenue plus adaptée pour l'extérieur. Il écarquille les yeux en reconnaissant le visage de la jeune fille.
- Je ne veux aucun mort dans mon jardin ! prévient-il.
Merina désigne la charrette à l'entrée de la propriété.
- Vous êtes débarrassés de la bande, annonce-t-elle. Vous pouvez vérifier, le compte y est.
L'homme d'affaires plisse le nez. Malgré la bonne nouvelle, il ne peut pas s'empêcher de rester dubitatif devant l'efficacité d'une si jeune fille. Il se dirige vers la carriole, méfiant, puis jette un œil à l'arrière. Il recule aussitôt de dégout.
- Pour peu qu'ils soient reconnaissables, ce sont bien eux, confirme-t-il. Que les Dieux me protègent du Morgörek, s'ils existent ! Comment diable les avez-vous tués ? Quelle est cette crasse noire qui recouvre leurs vêtements ?
- On a dû avoir recours à la manière forte, répond Merina. Maintenant paie nous, marchand.
Ce dernier sort de sa poche un petit sachet en grognant.
- Je vous paie le reste en diamants, je dois garder mes pièces pour les affaires au marché.
Le marchand n'a pas le temps de finir sa phrase que Merina lui arrache brusquement le sachet des mains.
- C'est parfait pour nous, répond-elle. On vous laisse la charrette mais nous partons avec les chevaux, nous en avons besoin.
L'orpheline vérifie le contenu de la bourse et se tourne vers l'héritier.
- William Kettbell, en route ! Le Haut Royaume nous attend à bras ouvert !
Le visage du marchand devient soudainement rouge de colère.
- Comment voulez-vous que je déplace la charrette sans les chevaux ? s'écrie-t-il. Vous n'allez pas me laisser avec tous ces corps ?
Merina lui lance un regard moqueur.
- Nous le faisons à condition qu'une récompense soit promise en retour.
L'homme d'affaires entre dans tous ses états en proférant une succession de jurons.
- On va me prendre pour le meurtrier ! s'esclaffe-t-il. Bande de voleurs, assassins ! Vous n'allez pas vous en tirer comme ça !
L'orpheline rejoint Theod en grimpant sur son cheval.
- Kettbell, interpelle-t-elle, c'est le moment de galoper le plus vite possible.
La jeune fille dégaine un sabre et coupe d'un mouvement sec l'attache des chevaux qui les relient à la carriole. Le marchand lâche un dernier juron en chargeant son fusil. Aux cliquetis de l'arme, Theod sent la peur envahir son corps. Il part au galop aux côtés de Merina sans prendre le temps de rechausser sa botte posée entre ses jambes. L'homme d'affaires se retrouve soudainement seul, abandonné à son triste sort. Les premiers passants du village ne tarderont pas à apercevoir dans la rue la charrette garée à sa porte.
Les deux coéquipiers fuient précipitamment le quartier marchand sous les dernières lueurs du crépuscule, à l'heure où les habitants vaquent à nouveau à leurs occupations. Theod se sent tout à coup sautillant et nerveux à la fois. Dans quelques jours, il sera de retour à la capitale du Vieux Royaume. Bien qu'il ait été longtemps contre cette idée, il voit désormais l'occasion de faire un dernier adieu à sa ville natale. Peut-être aura-t-il des réponses sur l'identité de William Kettbell. Peut-être aura-t-il des informations sur la situation du palais et la position de sa sœur Deryn parmi les nobles. Il se séparera ensuite de la compagnie de l'orpheline pour continuer enfin seul sa route vers les terres du Vif-Azur.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant