Chapitre 23 : L'auberge

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L'arrivée de la nuit assombrit à nouveau le ciel. Keith n'a pas cessé de marcher depuis son départ de la Sainte Cité. Sa route le mène sur un chemin terreux qui devient peu à peu sec et aride. Les paysages désertiques des terres du Vieux Royaume ne sont plus très loin. Le jeune apprenti franchit une petite colline et aperçoit enfin les lumières de l'auberge qu'il comptait atteindre avant la tombée de la nuit. Il se sent tout de suite plus soulagé de savoir qu'il n'aura pas à attendre le lendemain en dormant sur le bord de la route.
Mashir a dû s'apercevoir de la disparition de son élève dès l'aube quand celui-ci ne s'est pas présenté au cours sur l'Histoire Sacrée. Le prêtre fera tout pour remettre la main sur le vieux manuscrit que Keith a volé. Les gardes sont peut-être déjà à sa recherche. Si le jeune apprenti se fait capturer, il rejoindra le prêtre Kanzanni dans les cachots de la Sainte Cité, sûrement pour toujours. C'est pourquoi l'élève ne doit pas perdre un seul instant pour continuer sa route. Dès le lendemain matin, Keith se mettra à nouveau en marche pour découvrir les origines du parchemin sur le lieu anciennement appelé Kir'hom.
Le jeune apprenti entre dans l'auberge d'un pas ferme. Sa journée a été épuisante, mais pas assez pour le vider de toute son énergie. Il se dirige avec détermination vers le comptoir et s'installe sur une chaise surélevée. Sa besace glisse de son épaule. Il tape deux fois sur la table pour appeler un serveur, puis bâille la bouche grande ouverte.
- J'aimerais un verre de lait, s'il vous plaît, demande-t-il en se frottant les yeux.
Cette façon d'entrer dans l'auberge lui est très familière. Quand il était petit, Keith aimait se balader sur les trottoirs de la vieille ville du Haut Royaume en longeant les murs de l'orphelinat. Parfois, il trouvait des pièces de monnaie égarées sur la route. Il s'empressait de les ramasser pour filer jusqu'à l'auberge la plus proche et dépenser sa trouvaille pour savourer sa boisson préférée. Cette habitude aurait pu se perdre avec son séjour aux terres pontificales. Là-bas, les prêtres ne préparent que des boissons à base de miel.
Aucun serveur n'apparaît dans l'auberge pour servir le jeune apprenti. Keith se décide enfin à jeter un œil autour de lui. La plupart des tables sont vides, à l'exception de quelques-unes qui sont occupées par des voyageurs. Chacun d'entre eux est assis et immobile devant sa pinte. Un barde est installé dans un coin de la salle, adossé à sa chaise. Il tient un luth entre ses jambes, mais ne s'en sert pas. Cette auberge est beaucoup moins animée que celles de la cité royale. Elle accueille principalement des voyageurs qui ne s'arrêtent que pour quelques nuits. Les pèlerins viennent ici pour se reposer. Non pas pour se retrouver et festoyer jusqu'au lendemain.
Keith se fait cette fois-ci plus discret et appelle à nouveau un serveur derrière le comptoir. Une vieille femme finit par faire son apparition derrière deux portes battantes. Elle s'approche de l'apprenti en traînant difficilement le pas.
- Pas besoin de crier, grogne-t-elle. C'est pour quoi ?
- Un verre de lait, répète Keith sur un ton plus timide.
La vieille femme attrape un gobelet en bois avec un rictus aux coins des lèvres.
- Un verre de lait, murmure-t-elle à elle-même. Il ne manquait plus que ça.
Le jeune apprenti observe la serveuse préparer sa boisson. Celle-ci ne lui adresse pas un regard.
- Vous reste-t-il une chambre ? questionne-t-il. J'aimerai rester pour la nuit.
La vieille femme attrape une clé et la pose sur le comptoir en guise de réponse. Il est difficile d'ouvrir la discussion avec un caractère si peu aimable, mais Keith décide de tenter le tout pour le tout.
- Vous n'auriez pas entendu parler d'une fouille dans les environs ? demande-t-il.
La serveuse lève enfin les yeux vers lui, le regard intrigué.
- Des fouilles archéologiques, complète l'élève. Un village près du désert aurait trouvé de vieilles ruines entre les dunes de sables.
La vieille femme le dévisage un instant, puis pose le verre de lait sur le comptoir.
- Poursuis ta route vers le Sud-Est, répond-t-elle sèchement. Tu devrais trouver ça à quatre jours de marche d'ici.
Keith la remercie d'un hochement de tête et sort sa bourse de sa poche. Il verse quelques pièces dans sa main et en pose trois sur le comptoir pour payer le verre et la chambre. Les yeux de la vieillarde s'écarquillent.
- Et voilà un gamin plus riche que moi, murmure-t-elle à nouveau. J'aurai tout vu.
Keith ramasse ses affaires et se dirige à l'étage où se trouve les chambres, son gobelet en bois à la main. Il remarque le barde au fond de la salle l'observer avec curiosité. Les autres voyageurs n'ont pas bougé d'un pouce. Le jeune apprenti décide de ne pas en tenir compte et poursuit son chemin. En haut des escaliers, il traverse un long couloir jusqu'à la porte qui indique le même numéro que sa clé. L'apprenti la tourne dans la serrure et entre dans la chambre.
La pièce est quasiment vide. Il y a un lit, une petite étagère et un tabouret en bois sous le rebord de la fenêtre. Keith lâche un soupir et pose sa besace sur le sol. Un peu de repos ne lui fera pas de mal. Il sort de ses affaires le manuscrit et le dictionnaire des langues anciennes et s'installe près de la fenêtre en fermant la porte de la chambre. Il doit avancer la traduction du parchemin le plus vite possible pour pouvoir le brûler après, comme lui ont ordonné Grimmor et Kanzanni. Le parchemin lui avait appris la dernière fois que les dieux étaient enfermés dans les Enfers. Après avoir vaincu le Morgörek, les divins ont eu l'obligation de prendre sa place pour s'occuper des âmes dans le monde souterrain. Il leur est impossible de s'échapper à cause du gardien qui veille sur les portes du bas-monde. Cette tragédie a de quoi bousculer l'esprit d'un croyant, mais que veut-elle vraiment dire ? Keith n'a pas cessé de réfléchir à une interprétation de ce récit tout le long de son voyage. Les dieux aux enfers représenteraient les hommes sur terre et le gardien serait un obstacle infranchissable pour atteindre la liberté. Mais de quel obstacle s'agit-il et que représenterait le Morgörek ?
Le jeune apprenti replonge dans son travail de traduction. Les lignes suivantes du manuscrit semblent décrire le mystérieux lieu Kir'hom.
Le puits se dresse entre les terres de sable. Il s'enfonce dans les entrailles du désert pour rejoindre le tréfonds des enfers. Le sanctuaire de Kir'hom préserve le dernier soupir des dieux.
Keith redresse sa tête. Son regard pensif se perd sur le plafond de sa chambre. Kir'hom est donc un sanctuaire qui a été bâti sur le lieu-dit de la dernière bataille des dieux. Mais pourquoi parler d'un « puits » ? L'élève vérifie à maintes reprises s'il s'agit de la bonne traduction, mais le dictionnaire ne lui indique que ce mot. Serait-ce un chemin entre les deux mondes ? La porte des Enfers ? Celle du gardien ? Il ne serait pas normal que la bataille des dieux ait eu lieu aux portes des Enfers.
L'élève relit plusieurs fois la phrase et finit par émettre une hypothèse valable. Le puits fait sans aucun doute référence au trou que le Morgörek a creusé en rejoignant la surface. D'après le mythe, son arrivée est le lieu même de la bataille. Les hommes ont dû trouver un canyon dans le désert et ériger un sanctuaire en pensant qu'il s'agissait du trou creusé par le démon des Enfers. Ainsi donc, Kir'hom est le nom d'un puits. Les fouilles archéologiques dont parlait le prêtre Kanzanni ont dû être lancées après la découverte d'une partie du sanctuaire.
Keith sent l'excitation monter dans ses jambes. Il était sans le savoir à la recherche des lieux qui ont inspiré les mythes de l'Histoire Sacrée. Dans quelques jours, il atteindra le village qui prend en charge les recherches de Kir'hom et en apprendra plus sur les origines du parchemin. Il ressent cette fois-ci un peu de peur. Que découvrira-t-il là-bas ? Quel secret se cache-t-il pour faire trembler son mentor et pousser le prêtre Mashir à envoyer des gardes à sa poursuite ?
Le jeune apprenti enroule le parchemin. Il s'arrête de travailler pour aujourd'hui. La journée a été très fatigante et le lendemain sera tout aussi dur. Il ne prend pas la peine de ranger ses affaires et se jette sur le lit de la chambre. L'élève n'a aucun regret de s'être enfui de la Sainte Cité. Il préfère décidément mieux se risquer à l'aventure plutôt que de rester enfermé dans les grandes tours des prêtres. Keith lance un dernier bâillement avant de s'endormir profondément dans sa chambre d'auberge.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant