Chapitre 42 : Les voyageurs

4 1 0
                                    

       

Les dernières lueurs du soleil beignent le désert dans une couleur chaude et orangée. La route en direction du Haut Royaume serpente entre les dunes de sable. Non loin de là, une fumée s'élève dans le ciel. Theod, assis le dos cassé sur son cheval, déverse la dernière goutte de sa gourde sur ses lèvres. Il jette un regard à Merina. Celle-ci ne bronche pas, la posture toujours droite sur son destrier, les yeux fixés sur l'horizon. Cela fait trois jours que les deux acolytes sillonnent les terres du Vieux Royaume en direction de la capitale.
— Je n'ai plus d'eau, grogne Theod. Nous avons intérêt à arriver demain comme prévu.
L'orpheline ignore les lamentations de son compagnon de route. Elle observe le trait de fumée rejoindre les nuages.
— Il s'agit d'un feu de camp, annonce-t-elle. Nous pouvons rejoindre les voyageurs. Ils pourront sûrement nous aider à remplir nos gourdes.
Theod avale sa salive de travers et manque de s'étouffer.
— Tu n'es pas sérieuse ? Et si ces personnes veulent nous nuire ? Nous n'allons pas prendre le risque de partager notre campement avec des inconnus.
Merina lève les yeux au ciel, lassée.
— On les élimine dans ce cas. Nous avons besoin de leurs provisions.
Le jeune homme plonge son visage dans ses mains, à son tour exaspéré.
— Merina, je te l'ai déjà dit mille fois. Tuer n'es pas moral. Voler non plus d'ailleurs.
— Eh bien espérons ne pas en arriver là, rétorque-t-elle sèchement.
La jeune fille lance sa monture au galop sans attendre de réponse. Theod lâche un long soupir, puis finit par la suivre. Il n'a pas vraiment son mot à dire. Malgré les aventures sanguinaires que l'orpheline lui a fait subir au village, Theod reste très reconnaissant à son égard. Sans elle, il n'aurait pas tenu deux jours dans le désert. Cette fille a un impressionnant sens de la survie. Il semblerait que le vieil Isham n'ait pas souvent été là pour s'occuper d'elle. Theod se mord la lèvre inférieure. Saura-t-elle se comporter correctement une fois arrivée au Haut Royaume ? Son passage dans la capitale peut à tout moment tourner au cauchemar. Il ne devra pas tarder dans la vieille ville avant de poursuivre sa route vers les terres de Vif-Azur.
Le regard du jeune héritier plonge dans le vide. Toutes ses pensées se dirigent vers sa sœur Deryn. Leur père, le roi, est mort et lui, seul héritier du trône, n'est pas au palais pour remplir ses devoirs. Qu'est-elle devenue ? La Cour royale l'a-t-elle écartée du trône ? Theod se sent rongé par la culpabilité. Devrait-il saluer une dernière fois sa sœur avant de partir pour toujours ? L'idée de se rendre une dernière fois au Haut Palais sans la voir le rend malade. Mais comment faire ? Il ne pourra jamais l'approcher en étant sous l'apparence de William Kettbell. Elle ne le reconnaîtrait pas. Son ami Thomas non plus.
Le portrait de Winterbridge lui vient en tête. Son oncle non plus ne sera pas approchable. Mais comment se fait-il qu'Isham le connaisse ? Pourquoi le vieux forgeron voulait-il de ses nouvelles ? Quel lien peut-il lier ces deux hommes ? Theod lâche un grognement. Toutes les réponses à ses questions se trouvent au Haut Palais, mais il n'a plus aucun moyen d'y aller. L'idée de tourner complétement le dos au Vieux Royaume est de plus en plus compliqué. Est-ce le prix à payer pour atteindre Vif-Azur ?
Merina stoppe son cheval. Theod aperçoit le campement des voyageurs.
— Il semblerait qu'il ne nous ait pas encore remarqué, relève l'héritier.
— Ce sont des marchands, ajoute l'orpheline. Ils sont sûrement venus pour rejoindre la capitale comme nous. Cependant, ils sont armés alors reste prudent.
Theod tire une grimace. Merina descend de son cheval et s'approche du campement. Elle porte deux doigts à sa bouche et lance un long sifflement aux voyageurs. Ces derniers se retournent vers les deux acolytes, mains à la ceinture, prêts à dégainer. Theod se fige. La rencontre peut à tout moment plonger dans un bain de sang. Il commence à se murmurer quelques prières pour se rassurer. Merina analyse la situation. Les marchands sont six, tout au plus. Trois tentes sont déjà installées autour du feu. L'orpheline avait eu de bonnes déductions concernant la fumée qu'ils voyaient au loin. Un peu à l'écart, Une toile recouvre un petit chariot. Il est sûrement rempli de provisions et de marchandises.
Un voyageur finit par briser le silence en interpellant Merina dans un dialecte inconnu. Theod hausse les sourcils, déboussolé. Il se penche doucement vers la jeune fille pour lui murmurer à l'oreille.
— Ils n'ont pas l'air de parler notre langue. Je t'en supplie, ne fais pas de gestes brusques.
A sa plus grande surprise, l'orpheline l'ignore et répond à l'inconnu dans le même dialecte. Une discussion incompréhensible se lance, laissant le jeune homme complétement désorienté. Leur sort est désormais entre les mains de Merina.
— Rejoignez-nous, finit par lancer le voyageur avec un grand sourire.
Theod relève la tête en reconnaissant la langue du Vieux Royaume.
— C'est un dialecte que les marchands utilisent sur les côtes de l'Ouest, explique Merina. C'est une communauté très soudée qui n'hésite pas à aider ses prochains. Ils sont d'accords pour que l'on partage leur campement cette nuit.
Le jeune héritier reste sans voix, soulagé que la discussion se termine dans de bons termes. Ils rejoignent les marchands qui leur tendent des gourdes remplies d'eau.
— Nous sommes heureux de voir des habitants de l'Ouest, lance l'un d'eux. Il n'y a pas grand-chose qui nous rappelle nos terres dans les paysages de l'Est. Soyez-les bienvenus.
Merina et Theod les remercient avec un hochement de tête et prennent place autour du feu. Les autres voyageurs les rejoignent, une assiette à la main. Un vieil homme aveugle se tient parmi eux. Ses yeux blancs scintillent à la lueur du feu de camp.
— Qu'est-ce qui vous amènent si loin de chez vous ? questionne le premier inconnu. Vous n'aviez presque plus de provisions avec vous.
— Nous nous rendons à la capitale comme vous, répond Merina. L'ami de mon père malade m'amène à l'orphelinat du Haut Royaume.
Elle désigne Theod du menton. Celui-ci cache son air étonné, surpris par le mensonge. Les voyageurs se tournent vers lui, le regard rempli de compassion.
— Vous êtes très brave et fidèle pour accompagner cette jeune fille dans le désert, complimente l'un d'eux. Son père doit être fier de vous. Nous vous remercions pour l'aide que vous lui apportez.
La voix de Theod se bloque. Merina lui lance discrètement un coup de coude dans les côtes. L'héritier sursaute et entre dans son jeu.
— Merci pour votre accueil, bafouille-t-il. Nous sommes impatients de rejoindre la vieille ville.
Ils lui répondent avec un hochement de tête. Sa réponse semble satisfaire les voyageurs. Theod lance un petit sourire niais sans savoir quoi ajouter. Merina brise le silence.
— Pourquoi êtes-vous autant armés ? Les menaces sur les routes s'aggravent ?
— Non ça va, répond le premier inconnu. Je te remercie de t'en soucier. Les routes sont d'ailleurs plus calmes ces temps-ci.
Merina ne comprend pas. Le vieil aveugle se tourne droit vers Theod. L'héritier fait un petit geste en arrière, surpris par la précision du regard de ce dernier.
— Nous sommes armés pour la vieille ville, annonce-t-il. Nous voulons pouvoir nous défendre si les menaces contre le trône s'attaquent à nous. Il est difficile de faire confiance aux inconnus, désormais.
— Les menaces contre le trône ? répète machinalement Theod.
— Oui, reprend l'un d'eux. Il parle des conspirateurs, des assassins des rois.
L'héritier se racle la gorge, désemparé.
— De quels assassins parlez-vous ? Je ne comprends pas. Qui sont-ils ? Pourquoi se défendre ?
Les voyageurs l'observent un moment, sans rien dire. Le vieil homme finit par répondre.
— Le roi Kyan et son unique héritier ont été assassinés dans leur propre palais. Les soldats plongent la vieille ville dans la peur, à la recherche des conspirateurs. Nous nous défendons contre les menaces du palais et les abus des soldats.
Les autres marchands acquiescent les paroles de l'aveugle. Theod devient livide. Il plonge son visage dans ses bras. Merina ne comprend pas sa réaction.
— Theod, ça va ?
Theod relève la tête, le regard grave.
— Qu'est-ce qu'on sait sur ces assassinats ? Qui est sur le trône désormais ? Qu'est devenue Deryn ?
Les voyageurs sursautent en entendant le jeune homme parler de l'altesse royale par son prénom. L'un des voyageurs se décide à lui expliquer la situation.
— L'hériter a été apparemment retrouvé assassiné dans ses appartements. Nous pensons tous alors que le roi Kyan a également été assassiné. Mais personne n'a pris le pouvoir. La Cour royale s'occupe de la gestion du royaume pour l'instant. Nous ne savons rien concernant notre altesse royale.
— Une enquête a été lancée, ajoute un autre. Les soldats cherchent dans toute la ville les conspirateurs. On nous a dit que le portrait de l'un d'eux est affiché dans chaque rue. Il y a une grande récompense pour sa tête.
Theod n'écoute plus. Ses pensées se mélangent dans sa tête. Est-il mort dans ses appartements ? Est-il mort actuellement ? Que s'est-il réellement passé ? Comment a-t-il pu se réveiller dans le désert avec une nouvelle identité ? Son père s'est fait assassiné. Par qui ? Que devient Deryn ?
Le jeune homme se lève nerveusement, à la surprise de tous.
— Je vais me reposer, la journée a été longue. Encore merci pour votre accueil.
Theod fait maladroitement un dernier hochement de tête pour les saluer, puis s'écarte pressement du campement. Les voyageurs, autour du feu, restent un instant silencieux et finissent tranquillement leur repas. Le vieil homme se tourne vers Merina. Celle-ci est confuse.
— Tu devrais aller parler à ton ami, conseille-t-il.

LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant