Chapitre 43 : L'orphelin

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La splendeur du Haut Royaume éclate sous la chaleur du désert. Les portes de la cité, encadrées par la rempart des murailles, brillent de mille feux, majestueuses. Des ponts survolent les trois cours d'eau qui s'échappent de la capitale. Keith approche en titubant. Ses lèvres sont gercés, sa peau est entièrement sèche et son visage est quasiment brûlé par les rayons du soleil. Il a du mal à soulever la besace qui pèse sur son épaule. Le jeune apprenti, faible et souffrant, atteint les rives du cours d'eau le plus proche et se laisse tomber sur les genoux. Ses doigts effleurent la surface du courant. Un frisson parcourt son dos. Le voilà de retour dans sa ville natale. Là où il a toujours vécu depuis sa naissance. Il n'avait jamais quitté le Haut Royaume avant son départ pour la Sainte Cité. Keith ne perd pas plus de temps et plonge ses mains dans le ruisseau. Il s'éclabousse le visage. L'eau brûle ses lèvres fendillées. Le jeune apprenti se met à trembler de douleur. Il attrape difficilement sa gourde vide dans son sac et la remplit, puis verse délicatement de l'eau dans sa bouche en prenant soin de ne pas toucher ses lèvres. Un sensation de fraicheur saisit le jeune homme. Il se sent véritablement sauvé.

Au pied des murailles, deux soldats portent leur main à leur arme en remarquant le jeune apprenti s'approcher. Celui-ci semble à bout de force. Les gardes prennent un air menaçant.
— Halte, plus un geste ! Vous devez présenter vos documents pour entrer dans la vieille ville.
Keith ne comprend pas. Les yeux à moitié fermés, il a du mal à entrevoir le visage des soldats sous leurs casques. Qu'entendent-ils par « documents » ? S'agit-il d'un laissez-passer ? Il n'a jamais entendu parlé de cette absurdité pour entrer dans la ville. Le jeune apprenti essaie de répondre mais aucun son ne sort de sa gorge.
— C'est un drogué ? questionne le second garde.
— Bien sûr que non, répond l'autre. Tu ne reconnais pas la tenue des prêtres, imbécile ?
Le garde désigne la coule de Keith.
— Mais il paraît vraiment jeune. Il a peut-être volé les habits.
Le soldat perd patience.
— Tu sais bien qu'à nos âges, nous avons le choix entre le service militaire et les enseignements religieux aux terres saintes ? Un prêtre peut commencer très jeune.
— Mais qui fait ça ? Personne ne choisit les enseignements religieux, c'est nul.
Le soldat lance un coup sur le casque de son partenaire.
— Tais-toi, abruti. Et ne manque pas de respect à ceux qui empruntent cette voix. Un des cousins de mon père avait choisi cette option.
Le plus jeune garde se met à rire. L'autre soldat grommelle et décide d'ignorer les moqueries. Il jette un œil au jeune inconnu.
— D'où tu sors ? Réponds !
Keith n'arrive toujours pas à parler. Il entrouvre la bouche, silencieux. Les gardes froncent les sourcils, les yeux rivés sur ses lèvres brûlées, prêts à entendre le son de sa voix.
— Il est drogué, conclue le jeune soldat.
Le garde ignore son collègue et s'approche du jeune homme. Il lui tapote l'épaule.
— Ça va ?
L'apprenti s'effondre sur le sol. Le jeune soldat ricane.
— On fait quoi de lui ? On dirait une éponge complément molle.
Le garde se penche pour défaire le col de l'inconnu et tire une chaîne argentée.
— J'en étais sûr ! s'exclame-t-il. Regarde son collier. C'est un ancien gamin de l'orphelinat. On dirait que les terres saintes ne l'ont pas trop réussi. Appelle deux soldats pour nous remplacer. On va le ramener.
Son partenaire hésite un moment, incertain. Il finit par s'exécuter. Le garde face à Keith lui tapote la joue.
— Souffle un coup, mon petit gars. Tu es de retour à la capitale.
L'apprenti se met à tousser. Sa gorge sèche lui fait atrocement mal. Le jeune soldat revient rapidement avec deux autres recrues.
— Aide-moi à le porter, ordonne le plus sérieux.
Les deux gardes décollent Keith du sol, mettant chacun un bras derrière leur tête. Les pieds usés de l'apprenti trainent sur le sol. Il sent l'ombre des portes de la cité l'engloutir. Ça y est, il pénètre enfin dans la vieille ville. Ses muscles se détendent. Un légère brise caresse ses cheveux entremêlés.
Porté par les deux soldats, Keith entrouvre un œil pour admirer les ruelles de la capitale. A sa grande surprise, il aperçoit plus de soldats que de citoyens. Une poignée d'enfant se met de côté, l'observant avec un air grave. Son état doit leur faire peur. De l'autre côté, un soldat muni d'un seau d'eau étale une affiche contre un mur. Un portrait y est dessiné. Keith n'arrive pas à distinguer de qui il s'agit.
Au sommet de la falaise, le soleil disparaît derrière l'imposante architecture du palais. Le bruit assourdissant de la cascade résonne de plus en plus dans les allée. L'apprenti esquisse un sourire. Les gardes et lui ne sont plus très loin de l'orphelinat. Keith reconnaît les maisons, les places, les étals des marchands, les auberges. Rien n'a vraiment changé. Pourtant, tout semble plus triste. Les passants se pressent et esquivent les regards des soldats. Peut-être est-ce son état qui les gêne ? L'apprenti n'a aucune idée de l'image qu'il renvoie. Son périple dans le désert l'a complétement anéanti. Il ne pensait pas rentrer de son voyage dans cet état.
Les gardes s'arrêtent et toquent à la porte de l'orphelinat. Ils ne prennent pas la peine d'attendre. Les deux soldats laissent tomber l'apprenti au pied du bâtiment et retournent à leur poste. Keith gémit sous le choc. Une douleur se propage dans tout son corps. La fraicheur de la cascade le fait trembler de froid. Il sent un voile couvrir ses yeux. Des cris grondent à quelques rues. L'apprenti a juste le temps de distinguer la voix d'un vieil homme et d'une jeune femme se disputer au loin avant de perdre totalement connaissance, étendu sur le sol devant les portes de l'orphelinat. De loin, on penserait voir un ivrogne assoupi.


LA DERNIÈRE NUIT DES ROIS - Les terres du Vieux RoyaumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant