CHAPITRE 44

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RAPHAËL

15 décembre 2018,

Quand j'étais gosse, j'adorais l'heure de seize heure à dix-sept heures. On ne faisait plus rien à l'école, on sortait de classe, on mangeait notre goûter. Les jours de beau temps, on retrouvait les copains au parc. Les mamans discutaient entre elles et nous, on jouait. Plus tard, j'ai plus ou moins aimé cette heure, elle n'apportait pas plus que les autres. Une fois qu'Antone est rentré à l'école, j'ai aimé cette heure, quand je pouvais aller le chercher, parfois je l'ai haï, car je ne pouvais pas aller le voir à la sortie de l'école. Et aujourd'hui, je déteste cette heure. C'est la seule heure pendant laquelle on m'autorise à voir Jen. La voir. La regarder. Lui parler. C'est tout ce que je peux faire. Je déteste traverser les couloirs de la réanimation, je déteste voir les chambres des gens. Arrivé devant sa chambre, je remarque que la porte est entre-ouverte. Je frappe doucement et l'ouvre. Une infirmière est là.

— Bonjour, me lance-t-elle avec un petit sourire.

J'aimerais que son sourire soit synonyme d'une bonne nouvelle, mais elle m'annonce qu'elle me laisse tranquille avec elle. Elle quitte la pièce et ferme la porte. Je n'aime pas ce que je vois, les différentes machines. Sur un écran, il y a ses constantes. Tout est bas, on m'a dit que c'est normal, mais j'espère toujours voir une amélioration. Je tire la chaise vers le lit et je m'assois dessus. Doucement, je pose ma main sur celle de Jenifer. Ses doigts ne sont pas vraiment chauds, elle a toujours eu les mains froides Jen, mais là, c'est normal. Ils ont fait diminuer la température de son corps pour qu'elle aille mieux. Deux semaines et rien ne change. Je ne sais pas combien de temps ça prend les comas artificiels et je n'ose pas demander. De toute façon, on est tous différent. Il lui faut peut-être plus de temps pour se remettre. Je ne parviens pas à parler et je me penche sur sa main. Je ne peux pas m'empêcher de pleurer.

Je suis tellement désolé. Promis, si tu reviens, je ne te lâcherais plus. Ce sera nous deux, contre le monde entier. C'est bien ça qu'elle m'a dit le jour de notre mariage, j'ai dit pour le meilleur et pour le pire, elle a souhaité parler de combattre les autres autour de nous. Je relève la tête. Je sais qu'elle n'aura aucune réaction, mais j'espère au miracle, à ses constantes qui remontent d'un coup, alors que ce sont eux qui vont les remonter. Mais quand ? J'ai besoin que ce soit bientôt. Je ne tiendrai pas plus.

En regardant le visage de Jen, je me souviens d'Antone, du message qu'il lui a enregistré. Je sors mon téléphone, le pose sur le lit et lance le message, sans la prévenir. Je veux qu'elle réagisse. Mais rien. Elle ne bouge pas, son cœur ne s'emballe même pas à l'entente de la voix de son fils. Pourtant, elle devrait réagir, c'est son fils quand même. Elle l'a toujours entendu pleurer avant tout le monde, elle savait à l'avance quand il allait se faire mal.

— Tu lui manques énormément. Comme tu l'as entendu, je ne lui ai pas dit. Je n'arrive pas à lui dire. Je veux pas qu'il pense à l'éventualité qu'il ne te revoit jamais. Même, je ne veux pas qu'il te voie dans cet état.

Je marque une pause. Bien sûr qu'il ne doit pas la voir comme ça, il ne s'en remettra pas. J'ai besoin qu'il la voit réveillé, les yeux grands ouverts. On frappe à la porte. J'essuie mes yeux rapidement et je me tourne vers l'entrée, sans pour autant lâcher la main de Jenifer. C'est le médecin chef qui rentre.

— Bonjour monsieur Leblanc, une infirmière m'a prévenu de votre présence. Je tenais à vous parler.

Non. Non, il a l'air bizarre, ça se voit dans son regard. Il ferme la porte et s'approche du lit. Il reste debout, les yeux rivés sur Jen avant de reporter son attention sur moi.

— On est sur la bonne voie.

— Comment ça ?

— Vous ne pouvez pas le voir, mais son état s'améliore. Progressivement, ses poumons se sont vidés, c'est un vrai miracle d'en être arrivé jusque-là.

Ah oui ? Parce qu'il y a deux semaines, ils me disaient tous de croire en la médecine, que certains avaient survécu aussi. Les discours changent avec les jours.

— Dans deux jours, si son état reste comme ça, voir s'il s'améliore, nous la réveillerons du coma artificiel.

— C'est une bonne nouvelle, non ?

— Normalement oui. Mais certaines personnes réagissent mal au réveil. Elle va être désintubée et il va falloir qu'elle respire à nouveau par elle-même. C'est quelque chose que vous et moi, nous faisons naturellement. Elle aussi. Mais depuis deux semaines, la machine fait le travail à sa place. Il se peut qu'il y ait des complications.

— Vous ne pouvez pas attendre alors ?

— Peu importe le moment où on la réveillera, les complications sont les mêmes.

— Elle sera plus forte plus tard.

— Ce sera mieux de le faire dans deux jours. Mais elle sera accompagnée. On ne va pas la laisser seule et jusqu'à présent, votre femme nous a montré que c'était une battante.

— D'accord.

— Après son réveil du coma artificiel, il se peut qu'il lui faille quelques jours pour totalement se réveiller. C'est aléatoire, selon les individus.

Donc ils font de la médecine, mais ils ne savent rien à l'avance sous prétexte qu'on est tous différent.

— Dans les jours qui suivront son réveil, elle sera transférée dans un autre service. Votre enfant pourra donc venir la voir.

Je souris à penser à Antone. Ça semble si loin ce jour où il pourra venir la voir, mais le médecin a l'air confiant, ce jour arrivera.

— Monsieur...

Je relève la tête vers lui.

— Oui ?

— Le jour où elle se réveillera, le plus dur sera à venir. Elle sera suivie, aidée, par des professionnels.

— Mais ?

— Mais la médecine ne fait pas de miracle.

— Comment ça ?

— Je sais que votre femme est chanteuse. Le chemin va être long.

Il m'offre un sourire compatissant. Je savais que l'intubation allait jouer sur la carrière de Jen, mais le fait qu'il me le dise me brise.

— Je serai là pour elle, dis-je.

— Les médecins aussi. Je vais vous laisser.

— Merci docteur.

Il me sourit une nouvelle fois, jette un dernier coup d'œil à Jenifer et quitte la pièce. Elle se bat comme une reine et le plus dur n'est pas fait. Elle est forte, je le sais. J'espère qu'elle sera juste assez forte pour tout ce qui l'attend.


Derrière les Soleils (JENIFER FANFICTION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant