Sac de Papier

Chapitre 71 : Rétrospective

Clair ne savait toujours pas ce qui avait pu se passer pour qu'Ethan soit rentré à la maison si tard et dans cet état si particulier. Au fond de lui, il songeait que le médecin l'avait peut-être trompé. Ce dernier n'avait même pas levé le sourcil quand le jeune homme à la mèche blanche s'était mis en tête de le séduire plus tard dans la soirée.

D'ordinaire, il lui aurait sauté dessus sans sommation.

Clair avait pourtant mis le paquet pour lui donner une belle érection : maquillage punk, petite culotte en dentelle couplée à du tucking pour masquer ses formes, chemise de nuit un brin transparente et entrouverte, laissant entrevoir légèrement les tétons qui pointaient. Bref, tout ce qui plaisait à Ethan. Il s'était changé à la dernière minute, étant persuadé que sa tenue plus masculine de tout à l'heure n'aurait pas suffi.

Mais non, rien n'avait marché, et le psychiatre était parti se coucher rapidement après le repas du soir, un délicieux rôtis de porc servi avec des pommes de terre cuites au four, qu'il avait dévoré en un clin d'œil. Comme s'il avait déjà vidé ses couilles avec quelqu'un d'autre. Car jamais oh grand Dieu jamais il n'avait raté une occasion de coucher avec son ancien patient.

Le jeune homme n'avait rien dit, et avait fait comme s'il n'avait rien remarqué. Il s'était contenté de dire qu'il sortirait le lendemain dans l'après-midi, et qu'il aimerait bien que le médecin promène ses chiens lui-même. Il avait beaucoup hésité à lui demander cela, mais l'avait fait tout de même, il tenait à voir sa sœur. Ethan n'avait rien contre une petite sortie exceptionnelle, et lui avait demandé s'il allait voir sa nouvelle amie.

Clair ne savait pas trop quoi lui répondre, alors il lui avait menti, et avait dit oui à sa question.

C'était la première fois qu'il lui mentait ouvertement. Peut-être que son compagnon avait compris qu'il se moquait de lui, mais si c'était le cas, il n'en avait rien montré. Il semblait s'en moquer éperdument, ce qui blessa le jeune homme. Mais au moins il ne l'embêterait pas avec ces détails. Il savait seulement que Clair allait rater une session de pole dance, ce qui ne semblât pas le gêner plus que cela.

Il semblait donner plus de liberté à son compagnon, ce dernier se sentait moins contraint par la force des choses. Il lui avait même raconté des salades, mais il supposait qu'Ethan ne lui en tiendrait pas forcément rigueur. Ce dernier était de toute façon très mal placé, lui qui cachait ses activités de tueur en série aux yeux du monde.

Le jeune homme espérait que la police n'allait pas l'attraper trop vite. Il était persuadé que son amant finirait par commettre une erreur, alors la police allait remonter à lui, et l'arrêter dans sa folie meurtrière. Avec un peu de chance, Clair -qui était complice puisqu'il savait sans toutefois dénoncer les activités du psychiatre- allait avoir droit à de la prison avec sursis à cause du contexte très particulier de leur relation.

Car il le savait, leur liaison n'était pas saine. Il se faisait manipuler par le médecin, et acceptait son sort, car sinon, il allait finir ses jours seul, sans personne pour lui tenir compagnie et l'épauler au quotidien. Il ne lui restait plus qu'Ethan dans sa vie pour lui donner un semblant de saveur.

Quoiqu'il allât bientôt revoir sa sœur, ce qui lui donnerait peut-être une seconde chance.

Il ne savait pas trop pourquoi sa sœur était revenue à Sainte Haelen. Elle disait s'inquiéter pour lui, ce qui lui faisait plaisir tout en lui procurant de la peine, car il avait gêné Carole malgré lui. Elle avait fait des centaines de kilomètres pour le revoir, et n'avait sans doute pas le moindre regret, elle était comme ça. Courageuse et déterminée.

Il se rappelait encore du temps où ils vivaient tous les deux chez mamie J. la jeune femme faisait les courses toute seule avec le chéquier de leur grand-mère, et était tellement épuisée à force de prendre soin de son frère qu'elle était devenue végétarienne.

Pourquoi ? Parce que ne pas passer par le rayon « viande » lui coûtait moins d'énergie, elle se contentait d'aller au rayon « fruits et légumes frais », puis « fromages », puis enfin à la boulangerie du centre commercial. Au début, mamie J se plaignait souvent, mais, devant les bienfais d'une alimentation strictement végétarienne, elle avait fini par accepter son sort. Clair quant à lui, n'avait ni l'énergie ni l'envie de se plaindre.

Et puis, un après-midi, Carole avait appelé un psychiatre dans le dos de son frère, pour le bien de ce dernier. C'était ainsi qu'il avait rencontré le docteur Leroy. Il était reconnaissant de ce fait à sa sœur, car il avait rencontré un homme charmant, qui allait devenir au bout de six mois son compagnon.

Elle avait bien vite regretté d'avoir fait appel au service de cette personne, mais c'était trop tard pour arrêter les sentiments de son frère. Il était tombé amoureux.

Et son amour l'avait trompé la veille de ses retrouvailles avec sa sœur.