Chapitre 91 : Souvenirs, souvenirs

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Clair se souvenait de comment il avait fait pour se retrouver dans la situation présente. Et il n'aimait pas beaucoup ces souvenirs.

Tout avait dérapé à sa naissance. Son père n'avait jamais digéré le fait qu'il soit un garçon. Clair n'avait pas choisi et honnêtement, jamais il ne serait devenu une fille. Il était gay, pas trans, tout comme sa sœur était bi et pas lesbienne.

Papa détestait Clair de tout son cœur. Car il avait besoin de remplir des trous d'enfants, de petits garçons plus spécifiquement. Si son fils était né avec une vulve, il aurait pu se retenir, comme il l'avait fait pour Carole. Il aurait pu ne pas blesser sa progéniture et risquer gros. Tout ça, c'était la faute de ce sexe à la naissance qui n'était pas le bon.

Clair se rappelait tout de même quelques bons souvenirs de sa petite enfance, là où la mémoire commence enfin à faire son travail de stockage de données.

Il se rappelait entre autres d'une journée à la plage avec ses parents avant que tout ne dérape. Il se souvenait avoir mangé une glace à la vanille dans un petit pot en plastique transparent. Sa sœur avait pris une glace à la fraise, son parfum préféré. Elle avait une grosse tache rose sur la joue gauche, que maman avait vite essuyé en riant.

Quand Clair était au fond du trou, il lui suffisait de se rappeler du visage souriant de sa sœur, heureuse de manger une bonne glace. Cela avait le don de le réconforter comme jamais. Il chérissait ce souvenir en particulier, cela l'aidait à se sentir mieux.

Il se souvenait aussi du moment où ses parents leur avait fait couler un bain plein de mousse. Ça avait été chouette aussi. Clair s'était amusé à faire une barbe de père noël à Carole, cette dernière avait adoré l'idée et avait fait de même avec son frère. Mais c'était aussi un souvenir douloureux. Car il convoquait autre chose, quelque chose de terrible et indicible.

Il était dans le bain avec sa sœur quand leur père était arrivé. Il avait le souffle court et le visage rouge. Il transpirait comme un bœuf. Il était arrivé, et avait plongé la main dans l'eau, à la recherche de quelque chose. Ses doigts s'étaient resserrés autour du pénis de l'enfant. Ils avaient glissé sur la courte longueur, et s'étaient retirés.

— Ne dis rien à maman. Carole, ça vaut aussi pour toi. Sinon quelque chose de MAL va arriver. Et nous serons tous séparés. Ce n'est pas ce que vous voulez, n'est-ce pas ?

Le petit garçon avait été trop choqué pour comprendre ce que son père voulait dire par-là. Il s'était tut. Comme sa sœur. Ni l'un ni l'autre ne savait quoi faire. Pourquoi papa avait-il fait cela ?

Ils n'en savaient rien pour l'instant, mais ils ne diraient rien. Ils ne voulaient pas que le MAL arrive. C'était terrifiant, plus parce que c'était quelque chose de dangereux pour l'équilibre de toute la famille.

— Bien. Maintenant sortez du bain et essuyez-vous. Ensuite on passera à table.

Ce soir-là, Clair avait eu du mal à manger. Pour autant, il n'avait rien dit par rapport à ce qu'il s'était passé un peu plus tôt. Son père devait avoir ses raisons, et ce qui était arrivé n'était peut-être pas si grave que cela. Il n'en avait jamais parlé à Ethan.

Au fond de lui, le jeune homme pensait ne pas pouvoir lui en parler un jour. S'il devait évoquer ce souvenir, ce serait avec sa sœur et avec personne d'autre. Du moins pour l'instant.

Les jours, les semaines, les mois et les années suivantes ne furent que la suite logique des choses. Papa continuait ses « marques d'affection » comme il les appelait. Maman semblait avoir compris, mais n'en disait rien, comme si cela ne l'affectait pas.

Dans ses cauchemars, Clair voyait souvent une figure gigantesque le dévorer tout entier. Comme son père faisait en quelque sorte. La frontière entre la réalité et les nuits effroyables s'était affinée. Le jeune homme ne savait plus faire la distinction entre le monde onirique et ce qui arrivait réellement. Il avait le sentiment que tout ce qu'il vivait n'était qu'une illusion. Il avait toujours espéré qu'il ne s'agissait que de monstrueux cauchemars.

Mais au fond de lui il savait que tout cela était arrivé.

Ensuite papa avait commencé à frapper maman. Un peu tous les jours, comme pour l'habituer. Pour qu'elle se taise, et qu'elle craigne son mari. Pour que ce dernier puisse continuer sa torture en toute impunité.

Et puis un jour, ce fut le coup de poing de trop. Il avait quitté la maison en laissant sa femme dans cet état. Du sang coulait de sa tête. Elle ne bougeait plus.

Carole avait alors appelé les flics. Et ils avaient finis chez mamie J.

Le jeune homme commença à pleurer sans qu'il ne s'en rende compte.

Il avait besoin des bras d'Ethan pour le rassurer.

Alors, il entendit le médecin rentrer chez lui, c'était le soir. Clair se jeta sur lui sans sommation, et hurla dans son épaule.


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