Chapitre 13 : Consultation

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Alix attendait le plus calmement du monde dans sa chambre. Il attendait l'arrivée du docteur Leroy, comme tous les jeudis depuis environ six mois. Depuis son internement, il avait connu des choses joyeuses, d'autres malheureuses. Surtout malheureuses. Mais il se souvenait surtout des choses joyeuses.

Ce n'était pas grave, car Ethan était rentré dans sa vie. Il n'avait jamais autant vu d'êtres humains de toute son existence que depuis le moment où on l'avait découvert avec le cadavre de son géniteur. Chaque jour était une nouvelle expérience unique en son genre.

De toutes les personnes qu'il connaissait à présent, son humain préféré était Ethan. Il le trouvait d'une beauté féroce, sauvage. Comme ce qu'était le jeune homme aux cheveux blancs et à la peau presque transparente.

Par chance, le docteur Leroy lui avait donné la possibilité de se balader dehors.

Il avait droit à une promenade par jour, dans un fauteuil roulant et sous camisole de force : il avait sauvagement mordu l'un des internes lors de sa première sortie dans le parc de l'hôpital. Il avait manqué de lui arracher un doigt, une affaire de quelques millimètres près. Depuis, on faisait attention à être bien derrière son fauteuil. On ne pouvait pas savoir comment ce drôle de patient allait réagir.

Un jour, on l'avait amené dans un couloir qui renfermait des tableaux achetés par les gérants de l'endroit, plutôt qu'au parc. Alix ne savait pas trop quoi en penser de ces étranges toiles, mais il les trouvait plutôt belles. Il n'avait pas connu grand-chose durant sa courte vie, alors cette découverte le changea de ses habitudes.

Il avait toujours vécu avec son père, d'aussi loin qu'il pouvait se souvenir. Mais il n'avait jamais eu le droit de parler, alors il était resté silencieux. Même son palais ne s'était pas développé correctement pour lui permettre de pratiquer le langage. Sa mâchoire était celle d'un nourrisson incapable de penser par lui-même.

Et comme un malheur n'arrivait jamais seul, il ne voyait pas à plus de quatre mètres, la faute à son enfermement dans la maison de son père. Car c'était cela la réalité : il n'avait jamais vu plus loin que quelques mètres. Ce faisant, ses yeux ne s'étaient pas développés correctement. Sans parler de la lumière qui lui brûlait la rétine. On lui avait alors offert des lunettes de soleil, afin que sa vision ne soit plus source de chaos lumineux.

Alix n'avait jamais connu sa mère, mais il savait qu'elle avait accouché dans la baignoire avant de fuir la demeure, laissant son père s'occuper seul de leur enfant. Il ne lui en voulait pas, elle devait forcément avoir de bonnes raisons.

Et puis il avait le bon docteur à présent. Pas besoin de mère quand l'homme le plus beau et le plus séduisant de la planète vous rendait visite tous les jeudis.

On frappa à sa porte, puis le bruit caractéristique du déverrouillage de la serrure se fit entendre. L'infirmier chauve entra, talonné par le docteur Leroy. Ce dernier semblait être en forme, ce qui rassura un peu le jeune homme. Ethan s'exprima.

— Bonjour monsieur Deschamps ! Vous avez bien dormi cette nuit ?

Alix hocha de la tête, tout en tentant de dissimuler l'érection qui pointait le bout de son nez. Heureusement il était sous les draps.

— Bien, bien, je vais regarder ce que vous m'avez écrit. Cela vous convient ?

Le jeune homme hocha à nouveau la tête. Cette fois-ci, une petite tente se dressa sous le drap. Pas très grande, mais suffisante pour que le docteur Leroy puisse la voir.

Il n'en rajouta pas une couche, fort heureusement. En revanche, un étrange sourire était apparu sur son visage. Il avait vu.

Ce n'était pas le cas de l'infirmier, qui tapait subconsciemment du pied. Cela aurait profondément agacé Alix si ce dernier n'était pas concentré sur le docteur de son cœur. Ethan s'était mis à la lecture des longues lignes que son patient avait rédigées. Il plia les feuilles délicatement, et dissimula furtivement la dernière d'entre elles dans une de ces poches. Cela toucha le jeune homme, et pour cause : il lui avait déclaré ses sentiments dans ce dernier bout de papier.

Nul doute que le docteur allait lire cela tranquillement dans son bureau.

L'infirmier de son côté tapait toujours du pied. Il ne devait sans doute pas comprendre pourquoi Ethan Leroy lisait les écrits d'Alix dans la chambre de ce dernier, plutôt que de le faire dans un endroit un peu plus approprié. Le jeune homme non plus ne comprenait pas, mais la visite du bon docteur l'arrangeait, alors il ne se plaignait pas.

Il n'avait de toute façon pas la capacité de se plaindre verbalement. Tout ce qu'il pensait en cet instant allait bientôt être perdu dans sa propre mémoire sélective, et il oublierait tout d'ici quelques minutes. Mais ce n'était pas grave, cela n'avait aucune forme d'importance.

Il songea qu'il allait bientôt falloir s'occuper de sa tente.

Si le docteur ne le faisait pas avant.


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