Chapitre 101 : Moi aussi j'ai le droit de m'amuser

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Carole prenait un bon bain bien chaud dans l'appartement qu'elle avait loué pour un mois.

Son frère lui manquait, mais elle comprenait parfaitement qu'il ne pouvait pas venir tous les jours, il risquerait d'alerter son odieux compagnon. Elle n'aimait pas cet homme, et ses sentiments étaient réciproques.

Toute seule dans la baignoire, elle repensait aux moments sympathiques avant que son père ne pète un câble. Souvent, les jumeaux prenaient leur bain ensemble et jouaient avec la mousse. Leur mère mettait toujours un peu de gel douche là où le jet du robinet atterrissait, une astuce pour rendre la baignade plus amusante.

Et puis, un jour, leur père avait touché Clair sous l'eau. Le cauchemar avait alors commencé. Carole haïssait son paternel au plus haut point. Mais malheureusement, l'intéressé allait bientôt sortir de prison.

Personne n'avait osé dire à son procès qu'il avait eu des comportements pédophiles envers son propre fils, sa victime la première. Il n'avait été jugé « que » pour homicide sans intention de donner la mort. Putain de chanceux. Au moins il avait pris une peine de prison assez lourde.

La jeune femme aurait tellement voulu entendre que son père s'était fait tuer en prison. Elle aurait fêté l'évènement en grande pompe. Mais ce n'était pas le cas, et cela ne risquait pas d'arriver de sitôt. Les hommes violents avec leur femme avaient plus de chance de survivre qu'un pédophile avéré.

Clair n'avait pas voulu parler de ce qu'il s'était passé pendant toutes ces années. C'était peut-être pour le mieux.

La femme aux cheveux rouges en avait assez de penser au passé, alors elle acheva rapidement sa petite séance de relaxation, enroula une serviette autour de sa taille, et se sécha sommairement. Être mouillée ne la dérangeait pas tant que cela, elle avait l'habitude.

Elle enfila un polo bien épais, une culotte toute simple et un jean près du corps. Elle ne s'embêta pas plus que cela, et enfila des sandales achetées il y a peu. Elle eut le bon goût de ne pas porter des chaussettes pour aller avec.

Carole avait envie de prendre soin d'elle pour une fois, alors elle quitta l'appartement, et prit un bon bol d'air frais, si tant est que l'on puisse qualifier ainsi l'air de Sainte Haelen.

Il y avait peu de gens dehors, tout le monde travaillait en ce jeudi après-midi, et les enfants et adolescents étaient à l'école. Ce n'était pas plus mal, elle serait tranquille pendant un bon moment. Peut-être allait-elle pratiquer un peu l'art du pickpocket quand il y aurait foule, elle ne savait pas trop pour le moment.

Depuis combien de temps n'était-elle pas allée à l'école ? Depuis combien de temps était-elle devenue une petite délinquante ?

Depuis trop longtemps hélas. Mais ce n'était pas bien grave, elle gagnait sa vie. M certes, mais elle gagnait sa vie tout de même.

Elle dealait du shit et d'autres drogues du même genre depuis ses quinze ans. Elle vivait confortablement au détriment de la santé de ses clients. C'était ça ou crever de faim, le choix était vite fait.

Elle hésitait entre retourner aux Etats-Unis une fois sa visite terminée et rester au pays. Certes, Sainte Haelen était vicieuse et dangereuse, mais Clair était là. Son frère. Son jumeau. Son sang.

Elle aurait tué pour lui, et elle savait qu'il ferait la même chose pour elle s'il était plus fort mentalement. Mais elle savait aussi que les années de douleur l'avaient rendu peu combatif, plus passif en quelques sortes.

Alors qu'elle déambulait dans les rues de la ville, elle croisa une drôle de personne.

L'individu en question était manifestement une femme. Elle avait des cheveux noirs aussi raide que les siens, avec les pointes blondes. Son sweatshirt était d'une laideur à peine concevable, et ses baskets usées jusqu'à l'os. Elle avait les lèvres peintes en violet et un effet smoky eye qui ne faisait aucun sens avec le reste de sa tenue. C'était un véritable clown ambulant.

La femme souriait et sautillait en marchant. Tout le monde ne pouvait que la remarquer. Elle était en train de taper sur son smartphone de manière frénétique, sans se soucier de ce que les gens pouvaient penser d'elle.

Carole s'était arrêtée pour mieux distinguer ce drôle de personnage. Elle dû se décaler sur la route pour éviter que l'intéressée ne lui rentre dedans. Elle avait une ceinture banane à moitié ouverte.

C'était tentant. Terriblement tentant. Et cette énergumène ne verrait probablement rien. Dans le pire des cas, la femme aux cheveux rouges partirait en courant. Il n'y avait personne pour lui bloquer le passage.

Carole céda à la tentation. Elle avança vers ce qui ressemblait presque à un arlequin, et fit mine de tomber à côté d'elle.

— Oh, pardon, pardon ! Je ne regardais pas devant moi !

— Il n'y a pas de mal, ce n'est pas grave. Bonne journée !

La femme aux cheveux rouge avait réussi à prendre un portefeuille. Elle l'avait immédiatement glissé dans sa sacoche ouverte avant de presser le pas.

Elle avait encore craqué. Elle volerait l'argent et mettrait le reste de son butin dans une boite aux lettres. Elle aussi se mit à sourire.


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