Chapitre 1.2

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— T'as vu la corrosion énorme du segment dix-sept ? lançait Janna à Kuina. J'ai jamais vu un truc pareil, l'unité A va douiller.

Les deux femmes quittèrent leurs combinaisons pour rejoindre le réfectoire et se désaltérer. Bjorg, lui, disparut dans sa cellule sans un mot. Personne n'aurait vraiment compris, de toute façon.

Kian ôta ses protections avec précautions, les plia, les rangea dans son étagère, ajusta son casque antibruit sur ses oreilles et s'avança dans le réfectoire. Plusieurs trieurs, incinérateurs et nettoyeurs partageaient leurs repas entre rires, murmures et menaces. L'homme attrapa un gobelet de repas liquide et se dirigea vers l'aile de repos. Le vacarme de la pièce commune se tamisa dès qu'il franchit la porte. Allées étroites de métal abîmé par les passages successifs, le couloir du personnel s'articulaient en un arc cubique parfois barré d'alcôves aussi larges que deux hommes et plaqués de trois portes. Les unités A, B, C et D s'y réunissaient, pour chacune rejoindre leur poste en temps voulu : les tunnels de transports pour les deux premières, les cuves de triages pour la troisième, et l'incinération pour la quatrième.

Un trieur passa non loin de l'homme et baissa la tête en guise de salut. Kian passa son chemin, bifurqua à son alcôve et montra sa digipuce au scanner de sa chambre. La porte métallique entra dans le mur. D'un pas prudent, il enjamba la marche et s'enferma dans son rez-de-chaussée de quelques mètres carrés – l'étage appartenait à Tempo, son camarade incinérateur. Assis sur la chaise ferme de son bureau, il avala quelques gorgées de son repas et observa les pièces de métal abîmées que Tempo avait abandonnées dans sa corbeille de bricolage. Il passa alors sa main au-dessus de sa digipuce et ouvrit sa messagerie instantanée sur l'écran holographique : « J'en ai trouvées ». Kian baissa les yeux et saisit entre ses doigts fins les résistances âgées que son camarade de dortoir avait subtilisées à l'incinération, des résistances des années 2090 combinables avec de nombreux assemblages électroniques.

Kian ouvrit son tiroir, puis son coffre à résistances. À l'intérieur, une multitude de pochettes de micro déchets métalliques. Les microcomposants électroniques devenaient si rares qu'il conservait chacun d'eux comme le plus grand des trésors, classés d'abord par taille, puis par année. Les plus vieux occupaient la dernière pochette de son coffre, aussi singulières que les robots des années 2040 que les fouilleurs retrouvaient parfois dans l'ancienne montagne à déchets de Johannesburg.

Le nettoyeur rangea les trouvailles de son ami, puis étudia ses autres présents d'un œil curieux. Des morceaux de métal d'apparence usagée, un mélange de débris de polymères chauffés, sûrement issus d'un sabotage d'Utopistes errant dans les souterrains, ou alors d'un accident mortel dans l'une des capitales de l'Afrique. Ils semblaient aussi fatigués que les résistances qu'il avait récupérées, pourtant, ils ne se trouvaient qu'au début de leur nouvelle vie.

Merci, Tempo, songea-t-il.

La main de Kian glissa dans le fond de son tiroir pour en récupérer quelques fragments désorganisés et aligna devant lui les pièces dans un ordre précis et linéaire. Son index se posa à la base de son oreille droite. Dans l'instant, une nuée de nanorobots se rangea devant lui, prêts à œuvrer. Son microordinateur sous la main, Kian développa l'écran holographique devant lui et explora les emboîtements manuels et les possibilités devant lui. De quelques débris rangés, il passa à une maquette électronique aux composants éparses, puis, après quelques dizaines de minutes de travail minutieux, une maquette de modelage viable.

Il étira le modèle, zooma, rangea, puis établit l'ordre des tâches. Lorsque même son casque antibruit ne suffit pas à couvrir le grincement du plafond de métal vieillissant qui malmenait ses nuits, il appuya sur la base de son oreille et glissa son doigt vers le bas.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant